Les effets d’un tsunami au Groenland détectés en Belgique

13 septembre 2024
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 4 minutes

C’était comme un long bourdonnement monotone. Un bruit sismique hors du commun, qui ne contenait qu’une seule fréquence de vibration. Plus étonnant encore, ce bourdonnement a duré neuf jours et a secoué l’ensemble de la planète…

Ce tremblement de terre inhabituel, qui est passé inaperçu pour la plupart des Terriens, a débuté le 16 septembre 2023. Il s’est produit au nord-est du Groenland. C’est la première fois qu’un tel événement était détecté par les scientifiques. Et son signal a notamment été enregistré par le gravimètre ultrasensible de l’Observatoire royal de Belgique installé à Membach, en province de Liège.

Une vague haute de 200 mètres

« Un pan de montagne culminant à 1200 mètres d’altitude au-dessus du fjord Dickson, s’est soudain mis à glisser », explique le Dr Thomas Lecoq, sismologue à l’Observatoire royal de Belgique.

« Le glacier qui le soutenait s’était affaibli au fil des ans suite au réchauffement climatique. Quand la glace a cédé, c’est comme si le bouchon qui retenait la montagne disparaissait. Résultat: quelque 25 millions de mètres cubes de roches (un volume correspondant à plus de 10.000 piscines olympiques) et 6 millions de mètres cubes de glace ont subitement plongé dans le fjord, entrainant un tsunami géant. »

«  La configuration des lieux, la largeur et la profondeur du fjord sont telles que la vague de 200 mètres de haut a heurté l’autre versant du chenal, à 2,8 km de distance, et y a rebondi. Cette oscillation aller-retour de la vague, toutes les 90 secondes, a duré neuf jours et a secoué l’écorce terrestre. C’est ce signal sismique que nous avons détecté. »

Les chercheurs belges (Observatoire royal, ULB et Institut flamand de la mer (VLIZ, basé à Ostende)) ont immédiatement entamé une collaboration avec leurs collègues danois pour étudier ce phénomène exceptionnel. De nombreuses autres équipes scientifiques dans le monde ont également été mobilisées.

Au total, 68 chercheurs issus de 40 institutions scientifiques de 15 pays ont étudié cet événement.

En pointillés jaunes, la partie de la montagne qui s’est abîmée dans le fjord © Soren Rysgaard /Danish Army

La station d’Ella Ø endommagée

« Nos premières estimations de la position de la source de ce phénomène se sont concentrées sur l’est du Groenland. Au même moment, les autorités groenlandaises et danoises ont reçu des rapports faisant état d’un important tsunami à la station et base de recherche Nanok (alors sans personnel) sur l’île d’Ella », précise le Dr Lecocq.

À septante kilomètres de là, dans le fjord, des vagues de 4 mètres ont effectivement endommagé la station de l’île d’Ella Ø et détruit des sites du patrimoine culturel et archéologique.

Le fjord est également très fréquenté par les bateaux de croisière qui visitent les fjords du Groenland. Heureusement, aucun navire ne se trouvait dans les parages le jour du glissement de terrain et du tsunami. « Les conséquences auraient sinon été dramatiques », pointent les chercheurs.

Les instruments du VLIZ sur place ont survécu au tsunami

«Avant cet événement, et pour nos recherches, nous avions mis en place un réseau de stations océanographiques dans le nord-est du Groenland », explique Wieter Boone, du Vlaams Instituut voor de zee (VLIZ).

« L’année dernière, nous avons navigué dans le fjord Dickson pour installer des instruments à proximité immédiate de la montage qui s’est effondrée. Et ce, quelques semaines avant sa disparition. Nos instruments ont survécu au tsunami et nous avons pu suivre les événements en temps réel. La destruction observée d’une ancienne cabane de trappeur, qui n’avait jamais été touchée par un tsunami au cours de son histoire, montre l’ampleur inattendue de cet événement. »

« Cet été, nous sommes retournés dans la région. Nous avons mis à jour notre réseau de capteurs, cartographié l’impact du tsunami à l’aide de drones et installé des capteurs sismiques à haute fréquence et des capteurs de niveau d’eau dans le fjord de Dickson », précise-t-il encore.

« En Belgique, il est étonnant que ce qui a commencé comme un contrôle de routine d’un gravimètre à Membach se soit transformé en une collaboration mondiale et multidisciplinaire, avec des échanges virtuels en ligne 24 heures sur 24 », pointe le Dr Lecocq. « Je suis heureux que nous ayons pu ainsi prouver que la source des mystérieuses vibrations était l’effet de l’eau. Et que cette aventure ait conduit à de nouvelles collaborations avec des collègues du monde entier ».

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