Les mini trous noirs pourraient détenir une partie de l’énigme entourant la matière noire dans l’Univers. Des scientifiques de l’Observatoire royal de Belgique (ORB) et de l’ULB sont impliqués dans le projet OMMEGANG, acronyme pour « Observing dark Matter and MEteoroids with Gravimeters ANd GNSS ». Grâce aux données des satellites de positionnement GNSS (comprenant les systèmes GPS et GALILEO) et des gravimètres supraconducteurs, celui-ci cherche à détecter les mini trous noirs qui passent près de la Terre.
Un lien potentiel entre trous et matière noirs
L’existence de la matière noire est une hypothèse qui pourrait expliquer notamment les anomalies dans les mouvements des galaxies. On a ainsi observé que les galaxies tournaient sur elles-mêmes beaucoup plus vite que ce que prédisent les calculs liés à l’attraction gravitationnelle des gaz, astres et étoiles qui les composent. La gravité étant liée à la masse, la meilleure explication à ces anomalies serait la présence d’une matière inconnue, invisible, et uniquement détectable par l’effet de la gravitation : la matière noire.
Depuis plus de 40 ans, la communauté scientifique cherche en vain cette matière noire, et les hypothèses sur sa structure vont bon train. Certains pensent que, à petite échelle, elle serait composée d’un assemblage de particules de matière noire qui traverserait régulièrement le système solaire. La taille et la masse de ces hypothétiques grumeaux de matière restent néanmoins inconnues.
Une autre hypothèse actuellement en vogue est que cette matière noire pourrait aussi être constituée de mini trous noirs primordiaux, extrêmement denses et formés au début de l’univers. « L’idée que des trous noirs pourraient se former une fraction de milliseconde après le Big-Bang à partir de grumeaux dans la soupe primordiale remonte aux années 70s et aux travaux de Stephen Hawking et de son étudiant Bernard Carr », explique Sébastien Clesse, cosmologiste à l’ULB. « De tels mini-trous noirs pourraient expliquer la mystérieuse matière noire de l’Univers si leur masse équivaut à celle d’une montagne ou d’un gros astéroïde, pour une taille comparable à celle d’un atome. »
Détecter des mini trous noirs : un défi
Ces mini trous noirs, bien que très massifs dans l’absolu, sont cependant quasiment indétectables. Comme l’explique Bruno Bertrand (ORB), « la gravité à ces échelles reste très faible. Ainsi, si un trou noir primordial de 1014 kg, soit cent milliards de tonnes ou 20.000 fois la masse de la grande pyramide de Kheops, s’approchait de nous à 100 m, nous ressentirions une force d’un dixième de notre poids pendant une fraction de seconde. Un instant très court, car ces objets de matière noire, selon les modèles, parcourent 200 km en une seconde relativement à nous. »
Détecter ces mini trous noirs présente donc un défi. Pascale Defraigne, Bruno Bertrand (ORB), Michel Van Camp (anciennement ORB, actuellement à l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique) et Sébastien Clesse (ULB) ont participé à une étude pour estimer les limites et possibilités de détection de ces objets. Le premier auteur de l’article, Michal Cuadrat-Grzybowski, étudiant à l’époque à l’ULB et l’ORB et actuellement chercheur à TUDelft, est un expert en calcul d’orbites.
Ces scientifiques estiment que, aux environs de la Terre, des passages de ces mini trous noirs en deçà de la distance Terre-Lune, considérés à au moins un par décennie pour la masse de 1014 kg citée plus haut, pourraient perturber les orbites des satellites de positionnement GNSS (acronyme anglais pour Global Navigation Satellite System), comme les satellites GPS et Galileo, et créer des variations du champ de pesanteur de la Terre, détectables par des gravimètres supraconducteurs. C’est là que le projet de recherche OMMEGANG entre en jeu.
Les données GNSS et de pesanteur à la rescousse
Les orbites des satellites, connues au centimètre près, sont bien plus sensibles aux perturbations de masse que les orbites des planètes. En outre, les gravimètres supraconducteurs, capables de mesurer la pesanteur au centième de milliardième de sa valeur moyenne près, pourraient également détecter les variations de pesanteur par le passage d’un objet de matière noire.
De plus, les données GNSS et les données de pesanteur sont déjà disponibles. L’ORB possède d’ailleurs une expertise de longue date dans le traitement des données GNSS et dans la mesure de la pesanteur, science que l’on appelle gravimétrie. L’ORB a également géré deux gravimètres supraconducteurs : l’un, situé à Membach (Hautes-Fagnes, Belgique), a produit 28 années de données, et l’autre, à Rochefort, près de 10 années.
Un projet interdisciplinaire
L’expertise de l’ORB a déjà été à l’origine de recherches innovantes en géophysique ou physique fondamentale. Ces mêmes données, ainsi que celles d’autres observatoires dans le monde, serviront donc au projet OMMEGANG, sans besoin de construire une nouvelle expérience coûteuse. Comme le dit Bruno Bertrand, « c’est tout l’art de transformer un équipement qui est initialement destiné à un autre usage en un détecteur pour d’autres recherches passionnantes ! »
C’est aussi une façon de faire avancer la science en mettant à contribution plusieurs disciplines scientifiques. « OMMEGANG réunit deux domaines d’expertises complémentaires provenant de nos deux instituts », dit Sébastien Clesse.
« D’une part, il y a l’expertise de l’ULB en matière de cosmologie et physique fondamentale (matière noire, trous noirs primordiaux), d’autre part celle de l’ORB en matière de données GNSS et de gravimétrie. Ce projet interdisciplinaire est une façon inédite de faire de la science, et nous nous attendons à de nombreux résultats féconds. »