Portrait-robot de la femme condamnée et incarcérée en Belgique francophone

14 février 2024
par Camille Stassart
Temps de lecture : 4 minutes

Sur les 11.213 personnes incarcérées dans un établissement pénitentiaire en Belgique, 498 sont des femmes. Qui sont-elles ? Pour quels types de faits sont-elles le plus souvent détenues ? Cette population, présente-t-elle un profil particulier ? Les résultats préliminaires de l’étude de Valentine Doffiny, aspirante FNRS au département de criminologie de l’ULiège, livrent quelques éléments de réponse sur le profil des femmes condamnées et incarcérées. Une première en Belgique francophone.

Des criminelles oubliées de la recherche

De manière générale, la criminalité féminine a fait l’objet de très peu d’études scientifiques. L’une des raisons est que les femmes sont sous-représentées dans les statistiques criminelles, et n’incarnent donc qu’une infime partie de la population carcérale. Chez nous, elles ne représentent que 4.4% des personnes emprisonnées (la médiane européenne étant de 5.1%). A noter que ce chiffre ne reflète pas totalement la réalité, puisqu’il se réfère à la criminalité détectée et poursuivie par la justice pénale. « Il existe ce qu’on appelle le “chiffre noir” – c’est-à-dire la criminalité non détectée par les forces de l’ordre – et le “chiffre gris”, la criminalité détectée, mais non poursuivie. Cela biaise la réalité en termes de criminalité commise », précise la doctorante.

En conséquence, il existe une véritable invisibilisation des femmes criminelles au sein de la littérature scientifique, nationale comme internationale. Une explication réside dans le fait que la recherche sur le monde carcéral tend à se centrer sur les hommes. « La supériorité numérique des détenus masculins dans les prisons va naturellement privilégier l’étude du cas général, au détriment du cas particulier, les femmes.»

« Par ailleurs, la recherche tend à considérer les femmes comme des cas spécifiques, pouvant avoir pour conséquence que les études sur les détenues deviennent des recherches sur les femmes, et non sur le monde carcéral. »

Esquisse du portrait de la détenue francophone

La criminalité féminine, sans parler de son évolution, reste un phénomène encore largement méconnu. Pourtant, en Belgique, les données sont là. L’administration pénitentiaire dispose d’une base de données fédérales sur les personnes détenues. C’est en épluchant les 1.048 dossiers de femmes condamnées et incarcérées (et depuis libérées) entre 2019 et 2021 au sein de 4 prisons francophones (Marche-en-Famenne, Mons, Lantin, et Haren) que Valentine Doffiny est parvenue à dresser le tout 1er état des lieux de cette population féminine en Belgique francophone.

Résultats ? Le profil type de la femme condamnée et détenue est une Belge, âgée en moyenne de 36 ans, mère de deux enfants, et célibataire. « A noter que si plus de la moitié sont célibataires lors de leur entrée en prison, 90% étaient en couple au moment des faits. »

Côté judiciaire, la majorité de ces femmes ont été condamnées à de courtes peines d’emprisonnement (inférieures ou égales à 1 an). « Les 3 faits principaux menant à une incarcération sont les infractions contre les biens (vols, destructions de biens, fraudes…), les infractions contre les personnes (coups et blessures), et les infractions en matière de stupéfiants. Dans 60% des cas, les faits ont été commis en complicité avec d’autres personnes, dont 30 % avec un membre de la famille, incluant le ou la conjoint-e. »

Vulnérabilité sociale, relationnelle et individuelle

La consultation de ces dossiers a aussi permis de révéler l’existence de multiples vulnérabilités en lien avec la délinquance féminine. « Déjà, ces femmes présentent un faible niveau d’éducation, 40% ne détenant que le CEB d’école primaire et plus de 80% étaient sans emploi avant l’incarcération. Leur situation financière et de logement restent précaires. »

D’autre part, ces détenues sont généralement des femmes isolées, venant de familles « brisées » ou « désorganisées » (orphelines, issues de familles monoparentales, ou sans contact avec elles). Enfin, elles souffrent souvent de problèmes de santé mentale et/ou de consommation de drogues. « Ces deux points ne sont toutefois pas systématiquement répertoriés dans les dossiers pénitentiaires des détenues et méritent donc d’être approfondis dans la suite de l’étude. »

Dans les prochains mois, Valentine Doffiny cherchera à affiner ces premiers résultats en questionnant les quelque 200 femmes actuellement détenues dans les 4 prisons étudiées, via des questionnaires et des entretiens individuels. « L’intérêt sera d’investiguer de manière plus approfondie certaines variables identifiées, mais aussi d’étudier la trajectoire criminelle ayant mené à leur incarcération. »

In fine, ce projet permettra de mieux saisir le phénomène de criminalité féminine en Belgique francophone, mais aussi de pouvoir établir des comparaisons, à l’avenir, avec la criminalité masculine. L’objectif ultime sera de proposer de nouvelles pistes d’actions en matière de prise en charge et de prévention secondaire (afin d’éviter les récidives) des femmes inscrites dans une trajectoire criminelle.

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