Pour leur étude, les scientifiques UCLouvain ont notamment eu recours à un système de culture de cellules tumorales en 3D, des sphéroïdes. En présence de DHA, ces sphéroïdes commencent par croître. Ils implosent ensuite, en quelques jours © UCLouvain

Le DHA, un oméga-3 qui désintègre les tumeurs

14 juin 2021
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 5 minutes

Une recherche menée conjointement par des bioingénieurs de l’UCLouvain, spécialistes de la nutrition, et leurs collègues de l’Institut de recherche expérimentale et clinique (Faculté de pharmacie) vient de montrer que certains acides gras, comme le DHA, un oméga-3, pouvaient faire « imploser » des tumeurs cancéreuses.

En captant trop de DHA, les cellules en acidose de ces tumeurs ne réussissent plus à stocker ces réserves énergétiques de manière sûre. Ces acides gras s’oxydent alors. Ce qui mène à l’empoisonnement des cellules tumorales et à leur destruction par ferroptose, un type de mort cellulaire (comme la nécrose, l’apoptose, etc.).

Des sphéroïdes de tumeurs sous le microscope

L’équipe a travaillé sur des échantillons de tumeurs humaines provenant de différents types de patients cancéreux. Ces agrégats de cellules malignes ont été étudiés sous forme de sphéroïdes, des petites « bulles » de tumeurs. « Ceci est important parce que les cellules situées au cœur  de ces sphéroïdes ne se comportent pas exactement comme celles présentes en périphérie », explique le Pr Olivier Feron, de l’Institut de recherche expérimentale et clinique de l’UCLouvain.

« Les cellules tumorales situées dans ces échantillons de tumeurs en 3D deviennent dix fois plus acides que le reste de l’organisme. C’est cette acidité qui leur permet de migrer dans l’organisme et donc de générer des métastases. Ces cellules tumorales en acidose préfèrent également se nourrir d’acides gras, plutôt que de glucose », précise-t-il. Olivier Feron avait déjà précédemment mis ces phénomènes en lumière.

Découverte d’un doctorante Télévie

Les chercheurs ont ensuite tenté d’évaluer dans quelles mesures certains acides gras, dont se délectaient les cellules tumorales en acidose, pouvaient avoir un impact sur leur propre survie. C’est ici qu’Emeline Dierge, bioingénieure, chercheuse Télévie (FNRS) et doctorante à l’UCLouvain, intervient. Elle est à l’origine de la découverte dont cet article fait écho.

Avec le Pr Yvan Larondelle (Faculté des bioingénieurs), elle vient de montrer que , dans certaines circonstances, le DHA, un oméga-3 bien connu, disponible par voie alimentaire, pouvait aider à faire imploser des tumeurs cancéreuses.

Le DHA (acide docosahexaénoïque) est un acide gras qui joue un rôle important pour la santé ( vue, cœur, cerveau…). Des poissons comme le saumon ou les sardines, par exemple, en sont de bonnes sources alimentaires.

La découverte réalisée à l’UCLouvain est le fruit du travail (de gauche à droite) de la doctorante Emeline Diègre, du Pr Olivier Feron et du Pr Yvan Larondelle © Julien Pohl / UCLouvain

Gourmandise cellulaire délétère

L’équipe a étudié le comportement de tumeurs nourries de divers types d’acides gras. Elle a constaté que les acides gras polyinsaturés oméga-3 et oméga-6, à longue chaîne, comme le DHA, ralentissaient la croissance tumorale. Elle a ensuite tenté de comprendre les raisons de ce ralentissement. « Le DHA va induire la mort des cellules cancéreuses en acidose via un phénomène appelé ferroptose, un type de mort cellulaire liée à la peroxydation de certains acides gras », explique le Pr Olivier Feron.

Plus il y a d’acides gras insaturés disponibles au sein de la cellule, plus ils risquent de s’oxyder. « En temps normal, dans le compartiment acide des tumeurs, les cellules stockent ces acides gras dans des gouttelettes lipidiques, les mettant à l’abri de l’oxydation. Mais en présence d’une quantité importante de DHA, la cellule tumorale est dépassée et ne peut plus stocker le DHA. Celui-ci s’oxyde alors et entraîne par la même occasion la mort des cellules tumorales », précise Emeline Diègre.

En utilisant une molécule pharmaceutique habituellement administrée dans le traitement des cancers par chimiothérapie (soit un inhibiteur du métabolisme des lipides qui empêche la formation des gouttelettes lipidiques), les chercheurs ont également pu constater que ce phénomène était encore amplifié. « Ce qui confirme le mécanisme identifié et ouvre des perspectives de traitement combiné », assure-t-on à l’UCLouvain.

Plusieurs types de cancers potentiellement concernés

Lors de cette étude, plusieurs types d’échantillons de tumeurs humaines ont été testés avec de bons résultats. « Ce qui rend cette étude encore plus intéressante, c’est que l’effet du DHA sur les tumeurs concerne potentiellement tous les types de cancers solides », précise le Pr Feron.

Et comme il s’agit d’un apport en oméga-3, disponible notamment par voie alimentaire, cette découverte conforte également le Pr Yvan Larondelle dans son projet de spin-off. Il espère ainsi pouvoir proposer aux consommateurs des aliments riches en DHA, produits au départ d’aliments essentiellement locaux. « Les recommandations en matière de santé préconisent la prise quotidienne de 250 mg de DHA », indique-t-il. « Or, notre alimentation nous apporte en moyenne seulement 50 à 100 mg par jour de cet acide gras ».

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