Comme le montre cette impression d’artiste, Vénus est une planète sans champ magnétique intrinsèque. Au contraire de la Terre, elle n'a dès lors pas de protection pour la protéger de l'attaque continue du vent solaire capricieux et violent © ESA - C. Carreau

Une nouvelle histoire d’eau sur Vénus

14 août 2024
par Daily Science
Temps de lecture : 5 minutes

Des chercheurs du Groupe de recherche “Aéronomie planétaire” de l’Institut royal d’Aéronomie Spatiale de Belgique ont mis en évidence une augmentation inattendue de l’abondance de deux variantes de molécules d’eau – H2O et HDO – ainsi que de leur rapport HDO/H2O, dans la mésosphère de Vénus. Et ce, grâce à des observations réalisées par l’instrument belge SOIR (Solar Occultation in the Infrared) à bord de la sonde spatiale Venus Express de l’Agence spatiale européenne (ESA).

Ce phénomène inattendu remet en question nos connaissances actuelles sur Vénus et son eau, ainsi que les facteurs qui ont pu ou non favoriser l’habitabilité de la planète dans le passé. Cette avancée repose sur l’identification d’un possible mécanisme qui expliquerait les mesures.

Vénus © ESA/MPS/DLR/IDA, M. Pérez-Ayúcar & C. Wilson

Vénus, jumelle de la terre et pourtant si différente

Bien que surnommée la jumelle de la Terre en raison de sa taille similaire, Vénus présente aujourd’hui des conditions de surface très différentes de celles de notre planète, avec une pression de surface près de 100 fois plus élevée et des températures avoisinant les 460°C. Vénus est entièrement recouverte d’épais nuages d’acide sulfurique et de gouttelettes d’eau situés entre 45 et 65 km d’altitude. En outre, son atmosphère est plus de 100.000 fois plus sèche que celle de la Terre, et la majeure partie de l’eau se trouve en dessous et à l’intérieur de ces couches nuageuses.

L’étude de l’abondance sur Vénus des deux variantes de l’eau – appelées isotopologues – H2O et de son équivalent deutéré HDO (où D = deutérium, isotope stable de l’hydrogène) nous enseigne sur l’histoire de l’eau sur la planète. Il est communément admis que Vénus et la Terre présentaient initialement un rapport HDO/H2O similaire. Des études antérieures ont montré que ce rapport était 120 fois plus élevé dans l’atmosphère de Vénus (au-dessous de 70 km), ce qui indique un enrichissement significatif en deutérium au fil du temps.

Le principal mécanisme responsable de cet enrichissement en deutérium implique la destruction par le rayonnement solaire (photolyse) des variants de l’eau dans la haute atmosphère, ce qui entraîne la production d’atomes d’hydrogène (H) et de deutérium (D). Ces atomes peuvent ensuite s’échapper dans l’espace, H le faisant plus facilement en raison de sa masse égale à la moitié de celle de D. Cet échappement différentiel entraîne une augmentation progressive de l’abondance de D par rapport à H, augmentant ainsi le rapport HDO/H2O au fil du temps.

Le rôle de l’instrument belge SOIR

Pour déterminer la quantité d’H et de D qui s’échappe dans l’espace, il est essentiel de mesurer les quantités d’isotopologues de l’eau à des hauteurs où la lumière du soleil peut les décomposer, ce qui se produit au-dessus des nuages à des altitudes supérieures à ~70 km.

« Notre étude vise à mettre en lumière, pour la première fois avec autant de données, comment H2O et HDO sont distribués dans la mésosphère de Vénus jusqu’à une altitude de 110 km. Pour ce faire, nous avons analysé les mesures prises en orbite par l’instrument belge SOIR (Solar Occultation in the InfraRed), un spectromètre conçu, construit et exploité à l’Institut royal Belge d’Aéronomie Spatiale à Bruxelles. Cet instrument a volé à bord de l’orbiteur Venus Express, un vaisseau spatial de l’Agence spatiale européenne qui a visité Vénus de 2006 à 2014 », explique Dr Arnaud Mahieux, premier auteur de l’étude.

« Nos recherches ont abouti à deux résultats surprenants. Tout d’abord, contrairement à ce qui était prévu, les concentrations de H2O et de HDO augmentent avec l’altitude entre 70 et 110 km. Deuxièmement, dans cette même fourchette d’altitude, le rapport HDO/H2O augmente considérablement, d’un facteur 10, pour atteindre un niveau plus de 1500 fois supérieur à celui que l’on trouve aujourd’hui dans les océans de la Terre. »

Comportement des aérosols d’acide sulfurique hydraté (H2SO4) à travers les processus de condensation et d’évaporation. Ils correspondent mieux aux changements rapides observés dans les données acquises par SOIR © A. Mahieu et al., 2024

« Pour expliquer ces résultats inattendus, nous proposons un nouveau mécanisme – voir figure ci-dessus, NDLR- qui repose sur le comportement des aérosols d’acide sulfurique hydraté (H2SO4) à travers les processus de condensation et d’évaporation, et qui correspondent mieux aux changements rapides observés dans les données acquises par SOIR. Ce mécanisme suggère que ① les aérosols se forment à des altitudes situées juste au-dessus des nuages, où les températures sont inférieures au point de rosée de l’eau sulfurée. En tenant compte du fait que l’eau deutérée se condense plus facilement que son homologue hydrogénée, le processus de condensation conduit à la formation d’aérosols enrichis en deutérium. Ces particules ② s’élèvent ensuite à des altitudes plus élevées, dépassant les 100 km, où la température moyenne augmente de près de 80°C, ce qui entraîne ③ leur évaporation et la libération d’une fraction plus importante de HDO par rapport à H2O. Par la suite, la vapeur est ④ transportée vers le bas, complétant ainsi le cycle. Ce processus expliquerait également l’augmentation des espèces à base de soufre, telles que le dioxyde de soufre (SO2) au-dessus de 90 km d’altitude. Ce fait a été rapporté par diverses études, y compris par notre équipe, mais il restait jusqu’à présent sans explication. »

Repenser l’évolution de Vénus

« Notre étude met en évidence deux points importants. Premièrement, une compréhension approfondie des variations avec l’altitude est essentielle pour localiser les réservoirs de deutérium et d’hydrogène dans l’atmosphère de Vénus, ce qui permettra de mieux comprendre l’histoire de l’eau sur la planète. Deuxièmement, une augmentation du rapport isotopique HDO/H2O a un impact sur les taux d’échappement dans l’espace de l’hydrogène et du deutérium. La photolyse de H2O et de HDO à des altitudes plus élevées conduit en effet à une libération accrue de deutérium, influençant ainsi l’évolution à long terme du rapport D/H. »

Par conséquent, ces résultats encouragent l’incorporation de processus dépendant de l’altitude dans les modèles afin de faire des prédictions précises sur l’évolution du rapport D/H et de réévaluer si la Vénus antique était plus humide ou plus sèche qu’on ne le pensait auparavant, et donc d’influer sur son habitabilité passée.

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