Caméra et Kalachnikov, même combat!

15 janvier 2019
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes
«Horreur sacrée et sacrilège» par Ralph Dekoninck. Editions L’Académie en poche – VP 7€, VN 3,99€

Minicaméras à même le corps, des djihadistes filment les attentats. Pour donner l’impression d’un combat en temps réel. Et créer un effet immersif comparable à celui suscité par des jeux vidéo.

«La violence réelle et la violence fictive tendent ainsi dangereusement à se confondre, de même que l’acte de filmer constitue le prolongement naturel de l’acte de tuer. Caméra et Kalachnikov, même combat!», relève Ralph Dekoninck dans son essai «Horreur sacrée et sacrilège», paru dans la collection «L’Académie en poche». Ce titre se réfère à l’expression du XVIe siècle «sacer horror» pour désigner le trouble créé par la liaison entre terreur et sacré, «l’horreur sacrée». Le livre est le résultat d’une réflexion engagée lors de cours-conférences donnés au Collège Belgique.

Tout attentat est un acte de communication

Le professeur d’histoire de l’art à l’Université Catholique de Louvain (UCLouvain) étudie les rapports complexes entre image, violence et religion. En partant du présent et de notre perception des images terroristes. Il rappelle que: «Tout attentat est un acte de communication. Et que toute communication terroriste doit frapper par sa violence.»

«En réfléchissant sur l’histoire longue des pouvoirs des images et sur celle des réactions qu’elles n’ont cessé de susciter, on peut redonner de l’épaisseur historique et anthropologique à la problématique de nos peurs, de nos passions iconophiles et iconoclastes», ajoute le directeur du GEMCA, le Centre d’analyse culturelle de la première modernité de l’UCLouvain. «Ces peurs, comme ces passions, vont puiser dans un vaste répertoire de souvenirs, conscients et inconscients. Où se mêlent une mémoire visuelle collective qui a souvent un long passé derrière elle. Et une culture médiatique contemporaine qui se nourrit d’ailleurs de cet imaginaire plus ancien où les visions d’horreur abondent.»

Le spectateur, victime et complice

Passés maîtres dans l’art d’utiliser les réseaux sociaux, les djihadistes emploient les codes de la culture visuelle occidentale… «Pour les retourner contre cette culture», réplique le Pr Dekoninck qui poursuit des recherches sur les théories et pratiques de l’image au premier âge moderne. «Le spectateur médusé est tout à la fois victime de ces images et complice de ceux qui les produisent en cherchant à assouvir sa libido spectandi, c’est-à-dire une certaine pulsion de voir. Désir de voir et volonté de montrer s’épousent.»

L’État islamique cultive l’imaginaire du martyr-combattant. Sur des vidéos-testaments, des terroristes brandissent des kalachnikovs. Leurs portraits circulent. Figurent au tableau d’honneur de la causedjihadiste. «Cet arsenal iconique est conçu pour magnifier ou terroriser, selon qu’il vise les victimes ou qu’il s’adresse aux coreligionnaires. Mais il a aussi de particulier qu’il se construit dans la haine de l’image de l’autre. Qui, dans une tradition chrétienne comme musulmane, a pour nom l’idole. Voir et éprouver l’abomination idolâtre comme la tragédie du martyre déchaîne une sainte violence.»

Éduquer à l’image et au regard

Ralph Dekoninck cite Susan Sontag. Selon l’essayiste, romancière et militante étatsunienne, qui a réfléchi aux abominations de la Seconde Guerre mondiale, les images de l’atroce induisent des réactions opposées. Les images de la violence sur écrans incitent au combat. Pour la guerre. Mais aussi pour la paix.

«Cette indétermination est en fait le propre de l’image dont la force de frappe, si elle peut œuvrer à la paix et à la liberté, se révèle aussi être potentiellement une arme de destruction massive, d’autant plus insidieuse qu’elle procède discrètement mais durablement», explique le membre de la Classe des Arts de l’Académie royale de Belgique. «Afin de désamorcer cette charge, il importe d’encourager une éducation à l’image et au regard. Seule susceptible de mettre fin à l’idéologie de la transparence qui sous-tend encore notre expérience et notre pensée de l’image.»

«Il s’agit d’armer le regard plutôt que l’image, au sens d’outiller pour qu’il soit à même de démonter, et pourquoi pas de remonter, chaque image. De plonger dans sa mémoire. De traverser les strates de son passé. De saisir sa pensée et sa volonté. Du moins la volonté de celles et ceux qui la créent ou la manipulent. Sans compter la volonté de celles et ceux qui la reçoivent.»

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