L’origine des cancers osseux remonte loin dans l’histoire évolutive des vertébrés. Les sauropodes, les plus grands dinosaures ayant vécu sur Terre, étaient déjà enclins à les développer. C’est ce que vient de conclure une étude menée par Benjamin Jentgen-Ceschino, doctorant à l’unité de recherche Geology de l’Université de Liège, en collaboration avec des chercheurs du Département de Chimie de la Vrije Universiteit Brussel (VUB).
Données existantes de paléopathologies osseuses
Les recherches se sont focalisées sur des échantillons d’os de sauropodes, les dinosaures les plus longs et lourds, dotés d’un grand cou. Ils ont été récoltés lors d’une précédente recherche, par le Dr Koen Stein, paléontologue à la VUB et co-auteur de l’étude.
« Durant ma thèse de doctorat qui portait sur l’étude de la croissance osseuse des sauropodes, j’ai remarqué que certains prélèvements osseux présentaient des anomalies. A cette époque, je n’ai pas eu le temps de pousser l’analyse plus en profondeur. Grâce au travail minutieux de Benjamin Jentgen-Ceschino, qui a analysé des dizaines de cas médicaux et vétérinaires, l’équipe a réussi à restreindre la liste des causes potentielles à l’origine de ces aberrations de tissus osseux », explique-t-il.
Des spicules caractéristiques du cancer osseux
L’analyse de prélèvements issus d’espèces de sauropodes primitifs, à savoir Spinophorosaurus nigerensis et cf. Isanosaurus, a révélé que ces colosses avaient potentiellement développé un cancer ou subi une attaque virale.
« Nous avons trouvé différents types d’anomalies, explique Benjamin Jentgen-Ceschino. Dans un échantillon d’os de cf. Isanosaurus du Jurassique inférieur (il y a environ 200 millions d’années) provenant de Thaïlande, nous n’avons pas observé de croissance de l’animal au-delà du développement de fins spicules sur la surface externe de l’os. Cela signifie que l’animal est mort peu de temps après ».
Ces spicules – tissu osseux à la forme d’épines au développement perpendiculaire à la surface externe de l’os – sont typiquement associés à des tumeurs osseuses malignes et corroborent l’hypothèse du développement d’un cancer malin chez cet individu.
Plusieurs traumatismes au cours de la vie du dinosaure
Une production de spicules osseux anormaux ne mène pas forcément à la mort. Un dinosaure Spinophorosaurus, trouvé dans des roches jurassiques du Niger aurait survécu à la maladie et continué à grandir et à produire du tissu osseux normal par la suite.
« Il pourrait s’agir d’une réaction à une tumeur bénigne ou d’une infection virale. Le reste du squelette de cet individu présente cependant plusieurs autres pathologies. La vie de dinosaure ne semblait pas être un long fleuve tranquille, ses os en sont témoins », reprend Benjamin Jentgen-Ceschino.
Les traces fossiles de cancers osseux sont rares
Les pathologies osseuses telles que des cancers ou infections osseux existent donc et se propagent à un large éventail d’organismes depuis des centaines de millions d’années. Cette étude est cruciale, car les traces fossiles de l’apparition des cancers osseux sont rares.
« De nombreuses pathologies fossiles sont probablement passées inaperçues jusqu’à présent », énonce Valentin Fischer, directeur de l’EDDyLab à l’Unité de Recherche Geology de l’ULiège.
« Les deux dinosaures que nous avons échantillonnés ne présentaient aucun signe externe clair qui aurait pu présager de l’existence de la maladie puisque les tissus pathologiques étaient en fait cachés dans l’os », poursuit-il.
D’autres études de ce type pourraient révéler l’apparition précoce sur Terre d’autres maladies osseuses. « Nombre de pathologies discrètes resteront invisibles, voire inconnues tant qu’on ne les aura pas passées sous le microscope, volontairement ou par accident », concluent les chercheurs.