C'est dans l'amas de galaxies Abell 3827 que les contours de la matière noire ont pu être détectés par les astronomes européens de l'ESO.
C'est dans l'amas de galaxies Abell 3827 que les contours de la matière noire ont pu être détectés par les astronomes européens de l'ESO.

La matière noire se dévoile (un peu)

15 avril 2015
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 6 minutes

Un des mystères les plus ardus relatifs à la composition de notre Univers concerne la matière noire et l’énergie sombre. Ensemble, elles composent 95 % de notre Univers, le reste, 5% à peine, étant la matière visible: étoiles, galaxies, nuages de gaz, poussières…

 

La matière noire joue un rôle gravitationnel. L’énergie sombre par contre est répulsive. Elle repousse la matière. C’est cette énergie qui serait responsable de l’accélération de l’expansion de l’Univers. Mieux les connaître, c’est donc mieux cerner le fonctionnement et l’histoire de notre Univers.

 

« Le problème pour les astronomes et les cosmologistes est que tant la matière noire que l’énergie sombre ne peuvent être observées directement. Ils doivent donc avoir recours à des artifices pour pouvoir les cerner », explique le Pr Alain Jorissen, directeur de l’Institut d’Astronomie et d’Astrophysique de l’Université Libre Bruxelles (ULB).

 

Deux éclairages: l’un européen, l’autre américain

 

Deux recherches viennent de lever un coin du voile sur ces mystérieuses composantes de l’Univers. La première est due aux astronomes de l’ESO, l’Observatoire austral Européen, dont la Belgique est un des états fondateurs. L’autre est le fruit d’une collaboration internationale qui s’intéresse à l’énergie sombre, mais qui porte cette fois sur la matière noire.

 

Grâce au VLT, le Very Large Telescope installé au Chili, et à des données provenant du télescope spatial Hubble, les astronomes de l’ESO, dont un chercheur belge, Jori Liesenborgs, de l’Université d’Hasselt, viennent d’en apprendre un peu plus sur le comportement de cette fameuse matière noire.

 

En observant un amas de galaxies appelé Abell 3827, ils ont pu collecter les toutes premières informations concernant la nature de cette mystérieuse composante de l’Univers. La matière noire a été localisée de manière indirecte, via un effet de lentille gravitationnelle: une sorte d’effet de loupe qui déforme les images.

 

Etant dotée d’une masse, la matière noire dévie la lumière en provenance des galaxies d’arrière-plan. Cet effet de lentille gravitationnelle a permis à l’équipe de déterminer la position et la densité de la matière noire, en dépit de son invisibilité.

 
Une matière noire dotée d’un comportement intrinsèque autre que gravitationnel

 
En réalisant ces observations dans le temps, les chercheurs ont découvert un éloignement progressif d’un réservoir de matière noire par rapport à la galaxie qu’il entoure.

 

Les théories envisagent un possible éloignement de la matière noire et de la galaxie associée. Pour ce faire, il est nécessaire que la matière noire interagisse avec elle-même, même faiblement, au travers de forces distinctes de la gravitation. Jusqu’à présent, personne n’avait encore observé l’existence d’interactions autres que gravitationnelles au sein de la matière noire.

 

Le Pr Richard Massey de l’Université de Durham, auteur principal de cette étude, avance une première explication : « Nous percevons communément la matière noire comme un objet immobile, voire inerte, qui se contente d’exercer une attraction gravitationnelle sur son environnement proche. Mais le fait qu’elle ait été ralentie durant cette collision pourrait bien constituer la toute première preuve de l’existence d’une physique propre à ce côté obscur – l’Univers caché qui nous entoure», indique l’Observatoire austral européen.

 

Le Pr Liliya Williams de l’Université du Minnesota, membre de l’équipe, ajoute : « La façon dont la matière noire interagit gravitationnellement, contribuant à sculpter l’Univers, atteste de son existence. Toutefois, sa véritable nature nous échappe encore. Nos observations suggèrent la possibilité que la matière noire interagisse par le biais d’autres forces que la gravitation. Elles permettent donc d’exclure certaines hypothèses clés concernant sa vraie nature. »

 

Une carte de densité de la matière noire dans le ciel austral

 

De son côté, le Dark Energy Survey (DES) américain a publié en début de semaine sa première carte de répartition de la matière noire dans une petite portion du ciel austral. Le DES est un partenariat entre 300 scientifiques issus de 28 instituts de recherches aux Etats-Unis, en Espagne, en Allemagne, en Grande-Bretagne et au Brésil. Les chercheurs observent ici le ciel avec une caméra de 570 mégapixels placée sur un télescope de 4 mètres de diamètre, également situé au Chili (Cerro Tololo).

 

Carte de densité de la matière noire. La théorie prédit qu'elle est plus dense dans les zones où se situent les amas de galaxies.
Carte de densité de la matière noire. La théorie prédit qu’elle est plus dense dans les zones où se situent les amas de galaxies.

 

Ici, malgré le nom du projet qui semble s’intéresser en priorité à l’énergie sombre, c’est bien une cartographie de la matière noire et de sa distribution dans une petite portion de l’Univers qui a été réalisée. En confrontant ensuite ces densités de matières noires et la répartition d’amas de galaxies, les scientifiques espèrent pouvoir un jour mieux cerner l’énergie sombre.

 

Le mystère pourrait être levé… au LHC!

 

C’est pourtant en Europe, et plus particulièrement au CERN, à Genève, que le mystère de l’énergie noire pourrait être entièrement levé dans les années qui viennent.

 

« Avec le redémarrage du LHC, le grand collisionneur de particules à des niveaux d’énergies jamais atteints, on pourrait observer une nouvelle particule massive qui ne serait autre que le constituant de base de la matière noire », souligne le Pr Jorissen, à l’ULB.

 

« Si cela ne devait pas être le cas, nous devrions alors plutôt nous intéresser à une tout autre théorie pour tenter d’expliquer ce qui se passe dans l’Univers », estime-t-il. « Par exemple envisager une théorie alternative à celle de la gravitation telle que nous la connaissons aujourd’hui. La théorie de la gravitation modifiée (MOND) pourrait être une solution. Grâce à elle, plutôt que d’ajouter de la matière (noire) pour expliquer les phénomènes que nous observons, il faudrait modifier la loi de la gravitation actuelle pour la mettre en adéquation avec les observations. Cette théorie MOND n’a pas connu beaucoup de succès pour l’instant. Elle repose sur une gravitation newtonienne modifiée. Il s’agit d’une généralisation relativiste de la gravitation newtonienne. Une sorte de relativité générale généralisée sur laquelle travaille mon collègue Benoit Famaey », conclut-il.

 

Dans ces domaines de la physique, les progrès sont le fruit d’avancées dans divers domaines à tour de rôle. La balle est aujourd’hui dans le camp des observateurs. Demain, ce sera au tour des expérimentateurs de jouer. A moins que les théoriciens ne révolutionnent entretemps certaines règles de base…

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