Sonneur à ventre jaune © Thierry Kinet

L’appel du sonneur résonne à nouveau dans les mares wallonnes

15 juillet 2021
par Camille Stassart
Durée de lecture : 5 min

Série (4/5) : « Le retour des animaux sauvages »

Avec ses taches jaunes et ses taches noires, uniques à chaque individu, son chant mélodieux et ses pupilles en forme de cœur, le sonneur à ventre jaune (Bombina variegata) est une espèce protégée dans nos contrées, comme le sont les 14 autres espèces d’amphibiens indigènes de Wallonie.

Disparu de Flandre et de Bruxelles au cours des années 80, ce petit crapaud, long de 4 centimètres, a été sauvé in extremis de l’extinction en Région wallonne. L’espèce s’y réinstalle aujourd’hui peu à peu à la suite de programmes de réintroduction dirigés par Natagora et le SPW environnement depuis plus de dix ans.

Sonneur à ventre jaune © Thierry Kinet – Cliquez pour agrandir

Les flaques boueuses, l’oasis du sonneur

« C’est une espèce que l’on rencontre aussi bien en forêt qu’en milieu ouvert », indique Thierry Kinet, chargé du suivi des populations d’amphibiens au pôle herpétologique de Natagora, et co-auteur de l’Atlas « Les Amphibiens et Reptiles de Wallonie ».« En période de reproduction, le sonneur va s’installer dans des mares temporaires, qui s’assèchent plusieurs fois par an. Il évite de cette manière la présence de prédateurs qui pourraient s’attaquer aux œufs. Les adultes, extrêmement toxiques, n’ont de leur côté rien à craindre. »

À l’origine, le sonneur à ventre jaune était observé dans le fond des vallées inondables. Il a ensuite tiré profit des activités humaines en s’établissant dans des points d’eau stagnante, souvent boueuse : les flaques d’ornières dans les chemins de terre, les carrières abandonnées, les abreuvoirs pour animaux, etc. Avant le 19e siècle, l’espèce était probablement abondante partout en Belgique. « Mais après les années 1850, on note les premiers signes de déclin », note Thierry Kinet.

S’opèrent, à cette époque, plusieurs phases d’aménagement du territoire, qui se poursuivront au 20e siècle. Les grandes villes industrielles se développent, de même que les voies de communication. Routes en béton, trams, voies de chemin de fer et canaux se multiplient. Les réseaux de grandes flaques, propices au développement du sonneur, se font ainsi de plus en plus rares. Au point qu’au début des années 90, ce crapaud était au bord de l’extinction en Belgique.

Distribution du sonneur avant et après 1985 © Jacob, J.-P. et al. – Cliquez pour agrandir

La solution de la réintroduction

« En 2007, au moment où l’on clôturait la rédaction de l’Atlas sur les amphibiens et reptiles, on s’apprêtait à dire que l’espèce avait totalement disparu de Wallonie », se rappelle Thierry Kinet. « C’est alors que quelqu’un nous a contactés, nous informant qu’il conservait, chez lui, les derniers individus de Belgique ! ». À la fin des années 80, ce particulier avait recueilli la population qui vivait au sein d’un des derniers sites connus de l’époque, dans les bois du Sart-Tilman (Liège), et qui allait être détruit par des projets de construction.

De là, est née l’idée de réintroduire le sonneur à ventre jaune en Wallonie. De 2009 à 2012, Natagora, le Département de la Nature et des Forêts (DNF) du SPW environnement et la Défense, ont collaboré pour élever de nouveaux individus issus de la population sauvée du Sart-Tilman. En tout, 7.805 têtards ont été relâchés dans la plaine d’exercices du camp militaire de Marche-en-Famenne, qui abrite aujourd’hui une population viable. « Ce site a été sélectionné, car le passage d’engins militaires, du type chars d’assaut, creuse chaque année des ornières sur le terrain, qui sont des habitats favorables à la reproduction du sonneur », explique Thierry Kinet, qui coordonne aujourd’hui divers projets de réintroduction du sonneur.

Un retour naturel de l’espèce reste, en effet, peu envisageable : « Les amphibiens ont une capacité de dispersion très limitée. Ils se déplacent très peu de leurs zones d’habitat. Aussi, quand une population disparaît dans une région donnée, il y a très peu de chance qu’elle soit colonisée à nouveau naturellement. La réintroduction représente donc, dans ce cas, une stratégie pertinente.»

Actuellement, Natagora et le DNF collaborent avec Pairi Daiza et le Domaine des Grottes de Han, qui s’assurent de la reproduction d’individus. Des relâchés de juvéniles ont notamment été réalisés dans quatre sites naturels du bassin de l’Ourthe, lors du projet LIFE INTRÉGRÉ BNIP, ainsi que dans des carrières en activité, dans le cadre du projet Life In Quarries. « Tout comme dans le camp militaire, l’activité permet de créer des mares temporaires, intéressantes pour ce crapaud », précise Thierry Kinet.

Sonneur à ventre jaune en appui sur une douille sur le site militaire de Marche-en-Famenne © Thierry Kinet – Cliquez pour agrandir

Sauver en surveillant

Pour l’heure, la Wallonie compte quatre populations viables, dont la plus grande se compose de plusieurs centaines d’individus. L’idée étant que ces peuplements continuent à se développer autour des sites colonisés.

Cela prendra encore des années avant que le rétablissement du sonneur soit assuré, sa reproduction étant assez lente : « c’est une espèce qui n’est effectivement mature qu’à trois ou quatre ans, et qui, dans la nature, ne pond que quelques dizaines d’œufs par an. » Aussi, de nouvelles actions visant à relâcher d’autres individus, en vue d’augmenter ces populations, sont d’ores et déjà prévues.

Thierry Kinet relâche des têtards de sonneur à ventre jaune © Arnaud Laudelout – Cliquez pour agrandir

Pour autant, la réintroduction d’espèces ne doit s’utiliser qu’en dernier recours. « C’est une technique intéressante dans certaines situations. Mais la première des stratégies consiste, bien entendu, à prévenir la disparition des espèces. Dans le cas des amphibiens, cela passe par une surveillance efficace des populations, en sachant que les méthodes de suivi varient selon la niche écologique (plutôt terrestre, plutôt aquatique…) de l’espèce. En faisant cela, on peut évaluer leur statut, déterminer les facteurs qui les menacent et agir en temps voulu. Évitant ainsi de devoir recourir à la réintroduction d’espèces qui sont éteintes », conclut Thierry Kinet.

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