Sous le regard de Mgr Harpigny, Evêque de Tournai, les restes présumés de l'Evêque Jacques de Vitry, décédé en 1240. © Guy Focant
Sous le regard de Mgr Harpigny, Evêque de Tournai, les restes présumés de l'Evêque Jacques de Vitry, décédé en 1240. © Guy Focant

Après 775 ans de repos, Jacques de Vitry est sorti du tombeau

15 septembre 2015
Par Daily Science
Temps de lecture : 7 minutes

Ce n’est pas tous les jours qu’un évêque participe au démarrage d’un projet de recherches. Et quand celui-ci mêle physique nucléaire, génétique, archéométrie et anthropologie, l’événement est plutôt exceptionnel.

 

C’est ce qui vient de se produire à Oignies (commune d’Aiseau-Presles en province de Hainaut). Mgr Guy Harpigny, Evêque de Tournai, était présent pour l’exhumation des restes de Jacques de Vitry, dont le tombeau-reliquaire se situe dans l’église Sainte-Marie.

 

Transferts des restes de Jacques de Vitry, église Sainte-Marie d'Oignies. © Guy Focant (Cliquer pour agrandir)
Transferts des restes de Jacques de Vitry, église Sainte-Marie d’Oignies. Photo Guy Focant
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Une enquête policière? Plutôt un vaste programme de recherches initié par la Société archéologique de Namur et qui croise les compétences scientifiques de plusieurs partenaires en Belgique comme l’Université de Namur (UNAMUR), l’Université de Liège (ULg), l’Institut Royal du Patrimoine Artistique et l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique, » indique Etienne Brouillard, de la Société archéologique de Namur.

 

Avec le concours du Centre européen d’Archéométrie (ULg), du Musée de la Mode d’Anvers, de la KULeuven et du service Archéologie du SPW, le projet vise à vérifier l’identité réelle des restes humains conservés à Oignies.

 
Concordance entre ossements, reliques et objets religieux

 

« La tradition historique veut que l’évêque inhumé au prieuré d’Oignies en 1241 et le propriétaire des mitres liées au Trésor d’Oignies soient une seule et même personne : Jacques de Vitry, dignitaire religieux et mécène mort à Rome en 1240 », indique-t-on à la Société archéologique de Namur.

 

Ces affirmations n’ont cependant jamais pu être confirmées. C’est pour les vérifier que le projet CROMIOSS (Etudes croisées en Histoire et en sciences exactes sur les mitres et les ossements de l’évêque Jacques de Vitry) vient d’être lancé.

 

Vérifications  génétiques

 

Les ossements prélevés à l’église Sainte-Marie d’Oignies ont été transférés à l’Université de Namur en vue d’une analyse génétique. Avant cela, une anthropologue va d’abord étudier les ossements. Ce qui devrait permettre notamment de déterminer le sexe, mais aussi d’éventuelles pathologies ou particularités de la personne. Une analyse au carbone 14 pourrait également affiner la datation de ces restes humains.

 

Inventaire des ossements de Jacques de Vitry, église Sainte-Marie d'Oignies, 8 septembre 2015. Photo Guy Focant (Cliquer pour agrandir)
Inventaire des ossements de Jacques de Vitry, église Sainte-Marie d’Oignies, 8 septembre 2015. Photo Guy Focant
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Pour clore le premier volet du projet CROMIOSS, des échantillons d’ADN seront également prélevés à l’intérieur des mitres du « Trésor d’Oignies » qui auraient appartenu à Jacques de Vitry. L’objectif étant de mettre en évidence une possible concordance entre le porteur de ces mitres et le propriétaire des ossements exhumés…

 

Le Trésor d’Oignies à l’examen

 

Le deuxième volet de ce projet portera sur une étude approfondie des mitres du « Trésor d’Oignies » selon plusieurs méthodes : analyse par spectroscopie de masse, spectroscopie micro Raman pour analyser les pigments des miniatures, examen macroscopique pour étudier les fils d’or et d’argent…

 

Salle du Trésor d'Oignies au TreM.a, le Musée des Arts anciens du Namurois.  © Guy Focant
Salle du Trésor d’Oignies au TreM.a, le Musée des Arts anciens du Namurois. © Guy Focant

 

Il s’agira ici de dater ces mitres et de les recontextualiser notamment au sein du « Trésor d’Oignies », grâce à l’obtention de nouvelles informations telles que la provenance du parchemin, les pigments dans les enluminures, les techniques de tissage, l’analyse des colorants textiles et l’identification des types de fibres.

 

Ce projet, qui devrait durer deux ans, bénéficie notamment du soutien du Fonds Pr Jean-Jacques Comhaire. Géré par la Fondation Roi Baudoin, ce fonds vise à développer l’archéométrie dans le pays.

 

 

Qui était Jacques de Vitry?

Par Dominique Allard, Directeur à la Fondation Roi Baudouin

 

Jacques de Vitry (détail).
Jacques de Vitry (détail).

Jacques de Vitry est un acteur notoire de l’histoire du XIIIe siècle. Né vers 1165 en Champagne, clerc formé à Paris, il est attiré à Oignies par une figure qui frappe les chrétiens d’Europe occidentale : Marie d’Oignies.

 

Marie vient de Nivelles, elle rejoint une petite communauté féminine aux abords du prieuré d’Oignies, ce qu’on appellera un peu plus tard un béguinage. Le prieuré a été créé vers 1192 par une fratrie venant de Walcourt. Marie est dévote, mais plus que dévote : une ascèse, une mystique, une visionnaire qui cultive l’extase.

 

Son zèle mystique frappe ses contemporains. Elle attire de nombreux clercs en recherche. Parmi eux, Foulque, l’évêque de Toulouse chassé par les Cathares. C’est Foulque qui rencontrera Jacques de Vitry à Oignies et le convaincra d’écrire la vie de Marie mais surtout de prêcher la croisade contre les Albigeois dans le diocèse de Liège en présentant la vie de Marie comme l’idéal de la vie chrétienne.

 

Confesseur de Marie, Jacques de Vitry conservera une vénération pour elle. Il sera en permanence porteur d’une relique de Marie.

 

Jacques de Vitry a des qualités d’orateur et de prédicateur exceptionnelles. Des contemporains avisés diront de lui qu’il n’a pas son égal. C’est la raison pour laquelle il sera consacré évêque de Saint Jean d’Acre, aujourd’hui Accra au nord de l’Etat d’Israël.

 

Saint-Jean d’Acre c’est la capitale du Royaume chrétien de Jérusalem lorsque Jérusalem est occupée par les Ottomans.

 

A ce titre il accueillera les croisés de la cinquième croisade emmenés par le français Jacques de Brienne et le légat du pape Pelagio Galvani. Jouant le rôle d’aumônier général, il accompagnera les Croisés qui se dirigent vers l’Egypte pour attaquer le Sultan du Caire. Les opérations mèneront au siège et au sac de Damiette mais les Croisés échoueront lamentablement au siège du Caire et ce sera la déroute.

 

Jacques de Vitry reste attaché au prieuré d’Oignies qu’il considère comme le mémorial de Marie. Il enverra au prieuré des richesses de tout ordre. Des richesses matérielles: pierres précieuses, perles, objets précieux, et aides financières. Mais aussi des reliques et non des moindres : une côte de Saint-Pierre, du lait de la Vierge, des os du pied de Saint Jacques, des morceaux de la vraie Croix, toutes chèrement négociées en Orient mais qui généreront à leur tour protection et offrandes au bénéfice du prieuré.

 

Consacré cardinal, membre de la Curie romaine, Jacques de Vitry reviendra à Oignies. Hugo, un jeune frère des fondateurs, y développera, sans doute à l’instigation de Jacques de Vitry, un atelier d’orfèvrerie, recourant aux richesses envoyées par Jacques de Vitry, et travaillant presque exclusivement pour le prieuré lui-même.

 

A son décès, à Rome en 1240, Jacques de Vitry confie sa dépouille et ses richesses au prieuré d’Oignies où le tout sera considéré comme des reliques et conservé dans le même trésor : ses anneaux épiscopaux, ses deux mitres, son autel portatif, sa crosse d’ivoire, objets façonnés à travers l’Europe et qui témoignent de toute la carrière internationale de Jacques de Vitry, « humble ministre de l’église d’Acre ».

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