L’étude de deux sites archéologiques datant du Paléolithique moyen remet en question nos connaissances sur Néandertal. Dans une récente publication, une équipe d’archéologues belges, français et russes indique avoir mis en évidence un grand ensemble d’outils en os sur un site néandertalien situé à Jonzac (France). Une découverte qui fait suite à celle d’autres outils en os sur le site de Chagyrskaya (Russie). Or, on pensait jusqu’ici qu’Homo sapiens était la seule espèce à fabriquer de manière récurrente des outils dans ce type de matériau.
Des outils éclipsés par les créations d’Homo sapiens
C’est entre la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle que les premiers outils en os produits durant la Préhistoire sont retrouvés. En archéologie, on les désigne sous le terme d’« industrie osseuse ».
« Les objets récupérés à l’époque étaient façonnés avec minutie et souvent décorés. On a longtemps pensé que cette industrie se résumait à ces belles pièces, que l’on identifiait exclusivement sur les sites qui avaient été occupés par Homo sapiens », explique Malvina Baumann, première auteure de l’étude et chercheuse postdoctorante au TraceoLab, le centre de recherche en Préhistoire de l’ULiège.
Pourtant, Néandertal confectionnait aussi des outils en os. Ceux-ci ont toutefois échappé au regard des archéologues parce qu’ils étaient fabriqués de façon purement fonctionnelle et utilitaire. « Les traces sur les matériaux sont extrêmement discrètes et difficiles à repérer ». Ces vingt dernières années, il a été reconnu que certains outils en os avaient été fabriqués par Néandertal. Mais le phénomène restait jugé anecdotique par les scientifiques. Une idée mise à mal par Malvina Baumann et ses collègues dès 2017 lors de fouilles sur le gisement de Chagyrskaya, dans le massif de l’Altaï sibérien (Russie).
De véritables industries osseuses produites par Néandertal
Sur ce site, les archéologues ne déterrent pas seulement quelques pièces, mais bien des milliers d’outils, particulièrement bien conservés. « C’était la première industrie osseuse jamais découverte sur un site néandertalien », fait savoir la Dre Baumann.
Il restait encore à savoir si cette industrie était une particularité locale, ou bien une pratique établie chez Néandertal. Pour ce faire, les chercheurs devaient étudier d’autres contextes. « En sachant que Chagyrskaya est le site le plus oriental de l’aire d’expansion de Néandertal, on a décidé de réétudier en 2019 le site français de Jonzac, découvert dans les années 90, qui est l’un des sites néandertaliens parmi les plus à l’ouest de l’aire d’expansion de l’espèce. » Résultats ? Lors de ces nouvelles fouilles, l’équipe met également la main sur de nombreux objets. « A ce jour, on a retrouvé un ensemble d’environ 400 pièces. »
Comprendre les techniques du passé par la reconstitution
Différents outils ont été mis au jour sur ces deux sites, dont une majorité de « retouchoirs » : « On classe actuellement les outils néandertaliens en 4 catégories, selon la forme de leur partie active : les retouchoirs, les outils biseautés, les outils retouchés, et les outils à extrémité émoussée (à la pointe arrondie) », énumère la chercheuse. « Concernant leurs rôles, si l’on sait que les retouchoirs servaient à affûter le silex, il reste difficile de déterminer la fonction des autres pièces ».
Pour le savoir, les chercheurs ont misé sur l’expérimentation, en reproduisant les pièces exhumées et en réalisant avec ces copies diverses tâches (travailler la peau et le bois, creuser le sol, couper des végétaux…). « On compare ensuite les traces laissées par ces activités sur nos outils à celles trouvées sur les objets archéologiques. On peut alors déterminer à quel type d’action l’outil était destiné (racler, polir…), les gestes appliqués, et parfois, le type de matière première travaillée. Pour les outils biseautés, ils servaient probablement à travailler des matières à la fois tendres et rigides, comme du bois. Ceux à extrémité émoussée permettaient sûrement de travailler des matières souples, comme des peaux.»
A côté de ces expérimentations, les pièces trouvées à Jonzac et à Chagyrskaya ont été étudiées en laboratoire. Par ces analyses, les archéologues savent notamment que ces outils ont été élaborés à partir d’os de bisons, de chevaux et de rennes. Des animaux chassés et consommés sur les lieux.
Des collections néandertaliennes à revoir
Pour Malvina Baumann, leurs découvertes tendent à confirmer que Néandertal utilisait des outils en matière osseuse pour ses besoins quotidiens. « On a trouvé sur ces deux sites une réelle industrie. Il y a donc de grandes chances que la fabrication d’outils en os soit un comportement récurrent chez Néandertal, et non une pratique anecdotique. »
L’équipe d’archéologues compte à l’avenir réétudier les collections de certains sites néandertaliens, voire de refouiller certains lieux. « Il est possible qu’on soit passé à côté de la plupart de ces objets, et que d’autres industries osseuses restent encore à découvrir », conclut Malvina Baumann.