Poisson zèbre. © Petr Kutnetsov / Pixabay
Poisson zèbre. © Petr Kutnetsov / Pixabay

Le goût de l’oxygène, sciences citoyennes, faux souvenirs et mathématiques, colorant… d’invisibilité

15 septembre 2024
par Daily Science
Temps de lecture : 8 minutes

Les poissons-zèbres peuvent « goûter » l’oxygène, voici le colorant qui rend la peau transparente, la chasse aux galaxies est ouverte, les faux souvenirs trahissent notre raisonnement mathématique

À la rédaction de Daily Science, nous repérons régulièrement des informations susceptibles d’intéresser (ou de surprendre) nos lecteurs et lectrices. À l’occasion de notre dixième anniversaire, nous relançons deux fois par mois notre rubrique du week-end « les yeux et les oreilles de Daily Science ». Avec, pour celle-ci, et à la demande de notre lectorat, un regard plus international.

 

Les poissons-zèbres peuvent « goûter » l’oxygène

Une étude menée à l’Université d’Ottawa (Canada) révèle que certains poissons utilisent leurs papilles pour mesurer la concentration d’oxygène dans l’eau. Les larves de poissons-zèbres (poisson d’eau douce de la famille des vairons) sont capables d’estimer le taux d’oxygène dans l’eau à l’aide des mêmes cellules qu’elles utilisent pour goûter leur nourriture. Ces cellules font double emploi comme senseurs d’oxygène, jouant un rôle crucial dans la régulation de la respiration de ces poissons dans les milieux pauvres en oxygène. La double fonction des cellules des bourgeons gustatifs, jamais observée auparavant, vient remettre en question la compréhension du système sensoriel des animaux aquatiques.

Pour arriver à ces conclusions, l’équipe du Département de biologie de l’Université d’Ottawa a utilisé des techniques novatrices, dont l’analyse du calcium intracellulaire par imagerie chez des poissons vivants.

« Nous avons observé que ces cellules sensorielles sont activées par l’exposition à de faibles concentrations d’oxygène, soit des conditions hypoxiques, explique Yihang Kevin Pan, coauteur et stagiaire postdoctoral dans le laboratoire. Lorsque nous avons procédé à l’ablation – ou à l’élimination – de ces cellules, le rythme respiratoire des poissons en conditions hypoxiques a été perturbé. À l’inverse, en activant les nerfs émanant des bourgeons gustatifs, on a stimulé la respiration. »

Cette découverte pourrait changer du tout au tout notre compréhension des mécanismes d’adaptation des poissons aux changements dans leur environnement. Elle suggère que la capacité de « goûter » la concentration d’oxygène dans l’eau pourrait être un mécanisme de survie essentiel pour les organismes aquatiques, car il leur permet de détecter les concentrations d’oxygène dangereusement faibles et d’y réagir rapidement.

 

Oubliez la cape d’invisibilité, voici le colorant qui rend la peau transparente

En appliquant sur la peau d’une souris vivante un colorant alimentaire courant qui absorbe fortement la lumière, des chercheurs de l’Université Stanford, aux États-Unis, ont réussi à voir à travers la peau de l’animal. Cela leur a permis d’observer les vaisseaux sanguins du cuir chevelu, le mouvement des organes situés sous la peau de l’abdomen et les minuscules unités contractiles musculaires.

« L’obtention de la transparence optique chez les animaux vivants dépend d’une physique intéressante, où des molécules de colorant fortement absorbantes améliorent la transmission de la lumière à travers un milieu habituellement caractérisé par une diffusion importante de la lumière », expliquent les chercheurs. « Cette diffusion est le résultat d’un faible indice de réfraction dans les parties aqueuses du tissu et d’un indice de réfraction élevé de ses composants protéiques et graisseux ».

Les méthodes habituelles d’éclaircissement des tissus peuvent impliquer des processus tels que l’élimination des protéines et des graisses, ce qui ne fonctionnerait pas chez un animal vivant. La technique utilisée par les chercheurs américains est différente. Ils ont découvert qu’un colorant alimentaire courant appelé tartrazine (mélangé à de l’eau) appliqué sur la peau pouvait modifier l’indice de réfraction des parties aqueuses des tissus en absorbant la lumière dans les régions proches de l’ultraviolet et du bleu du spectre.

La partie non absorbante du spectre, à savoir la partie rouge/orange, peut ainsi être transmise plus profondément à travers les tissus. Il en résulte un effet de transparence temporaire qui peut être annulé par un lavage rapide et qui ne nuit pas aux animaux vivants, contrairement à d’autres approches utilisées pour améliorer la transparence.

 

La chasse aux galaxies est ouverte : appel aux volontaires

L’ESA, l’Agence spatiale européenne, a besoin d’un coup de pouce de la part du public. Dans le cadre de sa mission Euclid, lancée en juillet 2023 et qui a commencé ses observations scientifiques en février 2024, des milliards de galaxies lointaines vont être détectées par le satellite. L’idée est de les classer afin de pouvoir ensuite déterminer l’influence de la matière noire et de l’énergie sombre sur l’Univers visible.

Ce nouveau projet de science citoyenne a été baptisé Galaxy Zoo. Il doit en réalité aider l’algorithme d’intelligence artificielle ZooBot à caractériser les innombrables galaxies observées par Euclid.

Au cours des six prochaines années, le vaisseau spatial devrait en effet envoyer chaque jour environ 100 Go de données vers la Terre. Une IA va être chargée de faire le tri et de caractériser ces galaxies. Mais avant cela, il faut qu’elle s’entraîne.

L’algorithme d’intelligence artificielle appelé ZooBot passera d’abord au crible les images d’Euclid et étiquettera les « plus faciles », dont il existe déjà de nombreux exemples dans les études précédentes sur les galaxies. Lorsque ZooBot n’est pas sûr de la classification d’une galaxie, peut-être en raison de structures complexes ou peu lumineuses, il la montrera aux utilisateurs de Galaxy Zoo afin d’obtenir leurs classifications humaines. Cela aidera ZooBot à devenir plus performant.

Sur la plateforme Zooniverse, les volontaires se verront présenter des images de galaxies et devront répondre à plusieurs questions, telles que « La galaxie est-elle ronde ? » ou « Y a-t-il des signes de bras spiraux ?

Après avoir été formé à ces classifications humaines, ZooBot sera intégré dans les catalogues Euclid afin de fournir des classifications détaillées pour des centaines de millions de galaxies. Ce qui en fera le plus grand catalogue scientifique à ce jour et permettra de nouvelles découvertes scientifiques révolutionnaires.

 

Les faux souvenirs trahissent notre raisonnement mathématique

Chez l’être humain, la mémorisation d’une information passe par plusieurs étapes : la perception, l’encodage et sa récupération. À chaque étape, des erreurs peuvent survenir, conduisant parfois à la formation de faux souvenirs. Des scientifiques suisses et français ont cherché à déterminer si la résolution de problèmes arithmétiques pouvait générer de tels souvenirs erronés.

« Lors de la résolution d’un problème mathématique, il est possible de faire appel à la propriété ordinale des nombres, c’est-à-dire le fait qu’il soient ordonnés, ou à leur propriété cardinale, c’est-à-dire le fait qu’ils désignent des quantités spécifiques. Cela peut conduire à des stratégies de résolution différentes et, lors de leur mémorisation, à un encodage différent », indique l’Université de Genève dans un communiqué.

La représentation d’un problème de calcul de durées ou de différences de tailles (problème ordinal) peut parfois permettre des déductions inconscientes, qui conduisent à une résolution plus directe. La représentation d’un problème de calcul de poids ou de prix (problème cardinal) peut amener à la réalisation d’étapes supplémentaires dans le raisonnement, tel que le calcul intermédiaire de sous-ensembles.

Les scientifiques ont donc émis l’hypothèse qu’en raison des déductions spontanées, les participantes et participants seraient amenés à modifier inconsciemment les souvenirs des énoncés des problèmes ordinaux, mais pas ceux des problèmes cardinaux. En d’autres mots, les participantes et participants ont l’illusion d’avoir lu des phrases n’ayant pourtant jamais été présentées dans les énoncés.

Un test portant sur 67 adultes amenés à résoudre des problèmes arithmétiques de ces deux types semble leur donner raison. Les scientifiques ont constaté que les restitutions d’énoncés étaient correctes dans la majorité des cas (83 %) lorsqu’il s’agissait de problèmes cardinaux.

En revanche, les résultats étaient différents lorsque les participants devaient se rappeler l’énoncé de problèmes ordinaux, tels que : « le voyage de Sophie dure 8 heures. Son voyage a lieu dans la journée. À son arrivée l’horloge indique 11 heures. Fred part à la même heure que Sophie. Le voyage de Fred dure 2 heures de moins que celui de Sophie. Quelle heure indique l’horloge à l’arrivée de Fred? ». Dans plus de la moitié des cas, des informations déduites par les participantes et participants lors de leur résolution étaient ajoutées involontairement au rappel de l’énoncé.

Dans le cas du problème évoqué ici les participants au test étaient convaincus, à tort, d’avoir lu : « Fred est arrivé 2 heures avant Sophie » (déduction faite puisque Fred et Sophie sont partis à la même heure, mais que le voyage de Fred dure 2 heures de moins, ce qui est vrai factuellement, mais constitue une altération par rapport à ce que l’énoncé indiquait).

« Ces travaux peuvent avoir des applications pour l’apprentissage des mathématiques. En demandant à des élèves de faire un rappel des énoncés, nous pouvons identifier, en fonction de la présence ou non de faux souvenirs dans leur restitution, leurs représentations mentales et donc le raisonnement qu’ils et elles ont tenu lors de la résolution du problème », explique Emmanuel Sander, professeur ordinaire à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève, qui a dirigé ces travaux.

« Accéder directement aux constructions mentales est en effet difficilement réalisable. Le faire de façon indirecte, en analysant les processus de mémorisation, pourrait notamment permettre de mieux comprendre les difficultés rencontrées par les élèves pour la résolution de problèmes et fournir des pistes d’intervention en classe », indique encore l’université.

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