Pierre Bruegel l’Ancien, le fameux peintre flamand du 16e siècle qui vécut à Bruxelles et dont les peintures sont mondialement connues, était avant tout un … dessinateur.
A Bruxelles, la Bibliothèque royale de Belgique (KBR), un des dix établissements scientifiques fédéraux relevant de Belspo (la Politique scientifique fédérale), lève le voile sur cette facette méconnue des talents de l’artiste. C’est le thème de son exposition intitulée The World of Bruegel in Black and White. A l’époque, c’est surtout pour ses dessins que Bruegel était connu, paraît-il…
De très nombreuses estampes de Bruegel et trois dessins originaux issus du Cabinet des Estampes de la KBR attendent les visiteurs. Une occasion exceptionnelle de contempler de près l’œuvre graphique du peintre. Mais aussi de plonger dans les secrets les plus intimes de leur « fabrication ».
L’imagerie moderne jette un autre regard sur des œuvres du 16e siècle
Pour faire parler Bruegel, rien de tel que la Science. Depuis un siècle, plusieurs conservateurs du Cabinet des Estampes ont contribué à préserver de l’oubli les dons de dessinateur du maître. Ils ont effectué des recherches concernant ses estampes et ont consacré des articles et des biographies entières à l’artiste.
Aujourd’hui, c’est au tour du projet « Fingerprint » de faire parler les œuvres. Lancé en 2016 par le Cabinet des Estampes de la KBR et l’Université de Louvain (KULeuven), ce projet de recherche « Brain » vise à observer et à analyser les différentes phases d’élaboration des estampes du maître flamand.
Ensemble, ces deux institutions décortiquent les œuvres de Bruegel au moyen des dernières techniques d’imagerie disponibles. Le processus de composition d’une estampe est ainsi passé au crible, de la table à dessin à l’album du collectionneur. On y examine comment le maître réalisait ses dessins préparatoires, comment les graveurs les reproduisaient ensuite sur les plaques d’impression de cuivre et, enfin, comment les éditeurs continuaient, même bien après la mort de Bruegel, d’imprimer des épreuves des plaques originales.
La Luxure sous la loupe
Les premiers résultats de ce projet de recherche sont, notamment, présentés dans l’exposition. Ils concernent le projet d’œuvre consacré à la luxure, un des sept péchés capitaux illustrés par Bruegel. Le dessin étudié a servi de modèle avant d’être gravé sur une plaque de cuivre. Le voici en lumière naturelle.
Lorsqu’on passe le dessin sur une table lumineuse, la structure du papier apparaît. Les chercheurs utilisent cette méthode pour étudier les caractéristiques des papiers anciens. Pour Luxuria , on remarque que Bruegel dessinait sur du papier artisanal (fabriqué à la cuve). Les lignes du tamis sont visibles.
L’infrarouge fait parler les encres
L’analyse du dessin sous une lumière infrarouge permet d’étudier l’encre sans abîmer le dessin. Ici, on observe que Bruegel a dessiné Luxuria à l’aide d’un mélange de deux encres : une encre à base de carbone et une encre à base de noix de galle et de sulfate de fer. Sur cette photographie prise à l’aide d’une caméra infrarouge, seul le matériau à base de carbone est visible. Il apparaît que Bruegel a utilisé cette encre noire essentiellement pour accentuer des éléments liés à la composition du dessin afin de leur donner davantage de profondeur.
Rayons X et fluorescence
La fluorescence des rayons X permet de rendre visibles certains métaux contenus dans l’encre. Cette méthode permet notamment de déceler les pigments utilisés. L’image de Luxuria montre que Bruegel utilisait également de l’encre ferro-gallique, car partout, est détecté du fer.
Voilà pour le dessin. Reste la gravure. L’étude révèle comment le graveur s’y est pris pour transférer le motif dessiné par l’artiste sur une plaque de cuivre. Il commence par étaler de la craie ou de la poudre au verso de la feuille, puis pose le dessin sur une plaque de cuivre qu’il a enduit d’une couche de cire blanche. Il repasse ensuite les traits du dessin à l’aide d’une pointe d’acier. La transposition ainsi obtenue servira de fil conducteur pour graver l’estampe.
Cette méthode devient apparente lorsque le dessin est pris en photo sous le « microdôme ». Il s’agit d’une coupole munie d’une caméra et de 228 minuscules lampes qui éclairent le dessin chacune à leur tour et sous différents angles. Le dessin est ainsi photographié à 228 reprises. Un logiciel de traitement des images digère ensuite le tout et permet de voir le relief de la feuille. Ce qui permet de distinguer très précisément ce que le graveur a, ou n’a pas, transposé sur sa plaque de cuivre…
Dans les appartements de Charles de Lorraine
Ces explications techniques ne constituent qu’une toute petite partie de l’exposition proposée jusqu’au 16 février 2020 à la Bibliothèque royale sur le maître flamand.
Une exposition qui se déroule dans les espaces d’exposition entièrement rénovés de KBR, mais aussi dans les appartements du Palais de Charles de Lorraine, bâti au 18e siècle. Ce palais était la résidence à Bruxelles de Charles de Lorraine, gouverneur-général des Pays-Bas autrichiens de 1744 à 1780. Le palais compte cinq salles aménagées dans le style des Pays-Bas autrichiens et de la principauté de Liège au XVIIIe siècle. Une découverte dans la découverte, assurément.