Stimuler leur immunité et protéger les plantes des attaques de champignons. C’est ce que parviennent à réaliser des lipopeptides, des composés produits par des bactéries, développés dans le cadre du projet Interreg Smartbiocontrol. A la manœuvre, 24 partenaires (centres de recherches, universités,
ASBL, sociétés, fédérations régionales, associations d’agriculteurs) de Wallonie, de Flandre et du Nord de la France. Durant 4 ans, plus de 100 chercheurs ont planché sur des méthodes innovantes visant à réduire l’utilisation des pesticides en agriculture. Plus de 100 publications scientifiques en ont découlé.
Des biopesticides issus de bactéries
Voilà une dizaine d’années que des chercheurs de Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège) s’intéressent aux bactéries du genre Bacillus. Vivant naturellement en association avec les plantes, elles les protègent des infections causées par des pathogènes. On dit qu’elles jouent un rôle de biocontrôle. Et ce, notamment, par leur production de lipopeptides.
Il s’agit de molécules antifongiques composées d’une séquence cyclique de 7 à 10 acides aminés et d’une chaîne d’acides gras relativement longue, de 12 à 18 carbones. Bacillus en produit trois sortes, de structures différentes : des surfactines, des iturines et des fengycines.
Un fongicide qui stimule l’immunité
« Les lipopeptides fonctionnent selon deux mécanismes d’action. D’une part, ils ont une activité directe contre les champignons, en inhibant leur croissance. D’autre part, ils stimulent les mécanismes de résistance des plantes, leur système immunitaire. C’est assez exceptionnel de voir exprimées, au sein d’un même produit, ces deux propriétés clé pour le biocontrôle », explique Philippe Jacques, professeur de microbiologie à Gembloux Agro-Bio Tech et coordinateur de Smartbiocontrol.
L’utilisation des produits de biocontrôle par les agriculteurs est un principe important de l’agriculture biologique. Ces produits naturels protègent les cultures contre les maladies et assurent une bonne production tout en offrant un produit de bonne qualité.
Des molécules actives à faible dose
Actuellement, les biopesticides représentent à peine 5 % du marché mondial des produits phytosanitaires, soit 3 milliards de dollars dans le monde.
« Il n’y a pas beaucoup de métabolites microbiens sur le marché. De plus, ces molécules ne sont pas très actives. Ou bien elles le sont à des concentrations tellement élevées que cela pose des difficultés en termes de coûts de production. Et cela se répercute en un coût élevé pour les agriculteurs. C’est pourquoi nous nous sommes attelés à trouver des molécules d’origine biologique avec une forte activité à faible concentration », explique Philippe Jacques.
« Il est plus efficace d’envisager un biopesticide composé du seul mécanisme d’action (soit le métabolite, NDLR) qu’un biopesticide constitué par le micro-organisme producteur. En effet, ce dernier doit s’implanter dans l’environnement où il est en compétition avec les autres micro-organismes. Cela réduit les garanties de succès. En utilisant uniquement la molécule active, on a un effet garanti plus sûr. Mais comme c’est plus cher que de travailler avec des micro-organismes, il est impératif que cette molécule d’intérêt soit active à très faibles concentrations. »
Les lipopeptides sont produits très efficacement par les bactéries en bioréacteurs. « Ce qui permet de réduire le coût de production, et de rendre le produit concurrentiel par rapport à des produits phytosanitaires de synthèse. »
Impacts sur l’écosystème
Les lipopeptides sont capables de venir à bout de champignons pathogènes de cultures de blés, de vignes, de fraisiers, de laitues, de pommiers, et même de plantes ornementales comme les bulbes d’iris. Mais le risque existe que cette activité antifongique perturbe la flore naturelle et saprophyte, voire bénéfique, à la plante. Il n’est pas simple de trouver une molécule qui s’attaque aux champignons pathogènes, tout en épargnant les autres champignons. C’est pourquoi il est intéressant de se concentrer sur des molécules davantage stimulatrices des défenses immunitaires des plantes, avec un pouvoir antifongique direct moindre.
Les lipopeptides agissent durant un temps court (environ une semaine) puis disparaissent. Ces molécules ne sont pas rémanentes, elles se biodégradent rapidement. Par exemple, après 18 jours, 50 % de la surfactine est biodégradée. Ce taux atteint 80% au bout de 45 jours.
Pour le Professeur Jacques, «il s’agit d’accepter de perturber temporairement (pendant au maximum une semaine) l’environnement de la plante pour éliminer le pathogène. Ensuite, le système naturel devrait se remettre en place. L’idée est d’ajouter ces molécules à un moment clé du développement du pathogène, pas de les mettre en permanence. »
« Une fois le pathogène parti, l’équilibre de la flore peut se refaire. Et on espère que la plante puisse continuer à vivre en profitant des micro-organismes bénéfiques. Nous étudions cela actuellement. »
La toxicité à l’étude
Smartbiocontrol a lancé des études de toxicité tous azimuts. Un dossier toxicologique complet est nécessaire pour espérer voir les lipopeptides atteindre le marché américain d’ici deux ans. Et le marché européen d’ici 5 ans. Le délai d’homologation est plus long en Europe, car il faut démontrer, en sus, l’efficacité du produit sur champs au cours de 3 années successives.
« Nos tests écotoxicologiques préliminaires révèlent des gammes de toxicité très basse, extrêmement éloignées des molécules pesticides que l’on veut substituer. Les tests sur insectes non-prédateurs, comme les abeilles, n’ont pas encore été réalisés. »
« Concernant l’impact sur l’homme, seuls des tests sur cultures de cellules ont été faits jusqu’ici. D’autres tests vont suivre, car ce n’est pas représentatif d’un effet réel » , conclut le Professeur Jacques.