ChatGPT - libre de droit

Menace sur les scénaristes, écrivains, professeurs, avocats, informaticiens

15 décembre 2023
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
« ChatGPT », par Hugues Bersini. Éditions de l’Université Libre de Bruxelles. VP 10 euros

Il suffit de se connecter à «chat.openai.com» pour que le site de cette entreprise californienne de recherche et de déploiement d’intelligence artificielle (IA) annonce qu’on peut lui demander n’importe quoi. Par exemple, des textes de vœux personnalisés. De lire un travail et de le commenter pour l’améliorer. De créer des images en les décrivant ou d’inventer des BD. D’utiliser la voix pour engager une conversation. Prudent, le logiciel ChatGPT signale qu’il peut commettre des erreurs. Et qu’il faut envisager de vérifier les informations importantes.

«La comète GPT a traversé notre ciel de façon spectaculaire et inattendue», explique Hugues Bersini. «C’est la première fois qu’un logiciel d’intelligence artificielle peut se targuer d’avoir convaincu, en un si court laps de temps, une telle pléthore d’utilisateurs.»

Aux Éditions de l’Université Libre de Bruxelles, dans «ChatGPT», le directeur du Centre d’intelligence artificielle (IRIDIA) de l’ULB analyse ce «Groupement Participation Totalité» qui enthousiasme des dizaines de millions d’utilisateurs. Pour l’information qu’il véhicule. Sa créativité.

Se retrouver au chômage

Le professeur d’informatique et de programmation à l’École polytechnique et à la Solvay Business School de l’ULB pense que «ChatGPT, et de manière plus générale ces larges modèles de langage dont il est l’un des représentants les plus célèbres, devrait révolutionner de manière irréversible les métiers de la traduction, du journalisme, du droit, du marketing, de l’éducation. Mettre au chômage les scénaristes, les écrivains, les professeurs, les avocats. Et sans scrupule, les informaticiens qui lui ont pourtant permis d’exister».

«Si d’aucuns y voient un grand pas pour l’humanité, cela reste malgré tout un pas plutôt modeste pour la science des algorithmes, une recette de résolution de problèmes. Et, notamment, des réseaux de neurones, modèle de notre fonctionnement cérébral très caricaturé et simplifié.»

Naissance de l’IA

En 1956, au Dartmouth College dans le New Hampshire aux États-Unis, quatre scientifiques appellent leur projet de recherche d’été «Artificial Intelligence». Au menu, la maîtrise des langues, écrites et parlées. Compréhension et production de textes, traductions, résumés, recherches et indexations d’informations, dialogues automatisés.

Selon le membre de la Classe technologie et société de l’Académie royale de Belgique, «les logiciels de type chatbot (agent conversationnel en français) sont l’une des réalisations les plus utiles, impressionnantes et omniprésentes de l’IA. Dès les origines de l’IA, durant les années 1970 et 1980, une algorithmique du traitement des langues a vu le jour sous l’impulsion de pionniers formidables. Notamment des linguistes étatsuniens Noam Chomsky et Roger Schank.»

ChatGPT déboule

En 2017, huit chercheurs rédigent un des articles les plus cités sur l’IA: «Attention is all you need», «L’attention est tout ce dont vous avez besoin». Les géants du web, Google en particulier, délocalisent une large part de la recherche en IA hors des milieux académiques. Cela explique pour Hugues Bersini «la dépendance croissante des étudiants aux librairies et outils logiciels que ces géants mettent à leur disposition. Leurs données, leurs réseaux de neurones et leur puissance de calcul qu’aucun académique ne pourrait acquérir à titre personnel. »

Pour le conférencier au Collège Belgique, «on ne doit dès lors pas s’étonner de l’attraction qu’exercent ces mégaentreprises, qui peuvent se permettre de n’engager que les meilleurs, sur les futurs génies de l’IA.»

L’entreprise OpenAI de San Francisco sort ChatGPT en 2022. «Ce logiciel furieux n’a que faire des règles, et d’ailleurs s’en moque», relève le Pr Bersini. «Et c’est confondant, car pour lui, toutes ces suites de mots, la syntaxe qui les assemble et la sémantique qui les sous-tend se trouvent numérisées dans de gigantesques réseaux de neurones d’une nouvelle génération. Plus complexe, mais aussi plus gourmande sur le plan énergétique.»

Inquiétudes

Hugues Bersini exprime ses inquiétudes quant à l’avenir de l’IA. Avec, notamment, la remise en question de l’enseignement, de la recherche, des «droits d’auteur». La voracité énergivore des outils logiciels qui augmente les émanations de CO2. Nécessite des lacs entiers pour refroidir leurs infrastructures.

«La meilleure manière de guider et de limiter ce processus dans l’infini registre des modèles mathématiques ou logiques passe par le raisonnement», conclut le chercheur. «Les connaissances accumulées depuis des millénaires dans un cerveau précablé depuis l’origine des temps. Pour mieux faire face au monde qui l’entoure.»

Haut depage