Reconstitution d’un chasseur-cueilleur du Gravettien ( il y a 32.000 à 29.000 ans) © Tom Bjoerklund

Les fossiles de Goyet racontent les grandes migrations en Europe

18 décembre 2023
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 5 min

D’où viennent les anciens humains qui ont habité les grottes de Goyet, en province de Namur ? Et où leurs descendants ont-ils été s’établir lors de la dernière glaciation ? Ces Sapiens, sont-ils les ancêtres des habitants actuels de ces territoires ? C’est à certaines de ces questions que les dernières études portant notamment sur les fossiles de Goyet, en province de Namur, apportent un nouvel éclairage.

Les hommes modernes sont arrivés en Europe il y a environ 45.000 ans. Ils ont vécu en tant que chasseurs-cueilleurs à des époques difficiles, notamment lors du dernier maximum glaciaire (il y a 25.000 à 19.000 ans). Les archéologues connaissent les cultures distinctes (Gravettien, Magdalénien, Solutréen…) qui ont émergé à cette époque grâce aux objets laissés sur place, mais la rareté des fossiles humains fait que l’on sait peu de choses sur les mouvements et les interactions des populations elles-mêmes.

Cosimo Posth apporte un nouvel éclairage sur ces mouvements de population grâce à la génétique. « Ses études nous aident aussi à mieux comprendre les migrations des populations de chasseurs-cueilleurs à partir de la dernière glaciation », explique le Dr Patrick Semal, paléoanthropologue et conservateur des collections d’anthropologie à l’Institut Royal des Sciences naturelles de Belgique. Le scientifique belge cosigne l’étude dirigée par Cosimo Posth, de l’Université de Tübingen, en Allemagne.

Cap sur l’Espagne

En ce qui concerne les occupants de la grotte de Goyet d’il y a 30.000 ans, ne faisons pas durer le suspens. « L’étude montre que leurs descendants ont trouvé refuge dans le nord de l’Espagne. Les fossiles d’au moins deux populations y présentent des caractéristiques identiques aux fossiles retrouvés à Goyet », indique Patrick Semal.

« Des générations plus tard, on retrouve ces mêmes fragments de génomes encore ailleurs, puis cela s’arrête. Pourquoi ? La génétique ne nous apporte pas encore ce genre d’informations », souligne-t-il. Mais nous pouvons imaginer divers scénarios: la taille de la population était devenue trop petite, elle a disparu suite à des maladies, des guerres… « Mais ne nous limitons pas à de grands schémas consensuels. Cette étude est globale. »

356 génomes préhistoriques sous la loupe

L’équipe dirigée par Cosimo Posth a analysé les génomes de 356 chasseurs-cueilleurs préhistoriques de différentes cultures archéologiques, y compris des données inédites issues de 116 individus provenant de 14 pays différents d’Europe et d’Asie centrale. Parmi ces données, on retrouve notamment les 13 génomes de chasseurs-cueilleurs issus des collections de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique.

Outre la saga des occupants de Goyet, l’étude montre aussi que la population venue du froid et qui peupla le nord de l’Italie n’est finalement pas à l’origine de la population actuelle de la péninsule italienne. Elle a été remplacée par des populations venues de l’Est.

« Les données que nous avons obtenues grâce à cette étude nous fournissent des informations étonnamment détaillées sur les dynamiques de peuplement et d’évolution des groupes de chasseurs-cueilleurs d’Eurasie occidentale », résume Posth. « Des recherches interdisciplinaires plus poussées permettront de clarifier les processus précis à l’origine des remplacements génétiques de populations entières durant la dernière période glaciaire. »

Nouvelles fenêtres de recherche

Avec l’aide des fossiles de Goyet ? Ceux-ci présentent un grand intérêt pour les chercheurs. Pourquoi?  « Goyet est le seul site en Europe où nous disposons de fossiles humains qui appartiennent aux Néandertaliens, aux hommes modernes de l’Aurignacien, aux hommes modernes du Gravettien, du Magdalénien et du Néolithique », explique Patrick Semal. « Et tous ces fossiles nous livrent des séquences génétiques. À Goyet, nous avons même un candidat néandertalien au génome complet. C’est cela la magie de Goyet. C’est ce qui rend les sites archéologiques belges si particuliers. »

« Cela s’explique par le fait que nous n’avons jamais été dans un climat chaud et sec. Nous sommes suffisamment au sud pour que les sites aient été peuplés et suffisamment au nord pour que ces fossiles se conservent bien. Cela explique pourquoi aujourd’hui les approches paléogénétiques sur ces fossiles sont tellement fines et tellement fiables. Elles nous permettent d’obtenir des informations précieuses. »

Précieuses avancées technologiques

D’un point de vue technique, les progrès aussi sont dans le camp des chercheurs. « Les études paléogénétiques ont progressé de manière telle qu’elles sont désormais réalisables sur 10 à 15 milligrammes d’os pour obtenir une séquence génétique complète. C’est devenu le type d’étude la moins destructive sur les fossiles. Avant, il fallait un à deux grammes d’os pour espérer obtenir une séquence génétique limitée, et ce uniquement dans 5% des cas », commente le scientifique.

« Désormais, il nous faut moins d’os pour établir une séquence génétique que pour réaliser une datation par carbone 14. Nous en sommes arrivés à un point où les études génétiques sur les fossiles sont privilégiées. Elles nous fournissent un maximum d’informations pour une destruction minimale. Elles vont nous donner le sexe de l’individu, des caractéristiques physiques. Les fossiles nous montrent qu’une bonne fraction des populations de l’époque étaient des bruns aux yeux bleus. Ce qui est aujourd’hui quasiment inexistant », dit encore Patrick Semal.

« Ces études nous permettent aussi de tisser des liens au sein même d’une population. C’est assez extraordinaire. Quand on dispose de ces informations pour plusieurs individus, cela nous permet d’analyser les relations intrafamiliales. Une nouvelle fenêtre d’études qui était inenvisageable voici tout juste 10 ans », conclut-il.

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