Pister la protéine tau avant qu’elle n’attaque le cerveau

16 août 2023
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 4 min

Aux Cliniques universitaires St-Luc (UCLouvain), le neurologue Bernard Hanseeuw se partage entre les soins aux patients et la recherche fondamentale. « Comme chercheur clinicien, j’ai la chance de bénéficier du soutien du FNRS, mais aussi du WelBio, le département des sciences de la vie du WELRI, le « WEL Research Institute », dit-il.

Et la chance lui a souri. Ses recherches viennent d’aboutir à la publication d’un article scientifique qu’il cosigne avec des collègues de l’Institut de Duve. Il s’agit de mieux comprendre quelles protéines tau solubles qui circulent dans notre cerveau se muent en agrégats, lesquels sont ensuite à la source de diverses maladies neurodégénératives.

Comme le sucre dans le café

Ce que le neurologue explore, c’est un peu l’histoire du sucre dans le café. « Evidemment, je n’étudie ni le café, ni le sucre, mais bien la protéine tau et ses effets sur le cerveau », insiste-t-il, avant de se lancer dans la fameuse comparaison.

« La protéine tau est un peu comme le sucre du café. Elle existe à l’état soluble, comme le sucre dissous dans nos tasses, mais elle peut aussi s’agréger, toujours comme le sucre, mais qu’on retrouve cette fois sous forme de cristaux au fond de la tasse. Dans nos organismes, tant que cette protéine est soluble, elle ne présente pas de danger pour le cerveau. C’est lorsqu’elle s’agrège qu’elle pose un problème neurodégénératif. »

Maladies neurodégénératives orphelines

« La maladie la plus fréquente et sans doute la plus connue dans ce contexte est la maladie d’Alzheimer », précise encore le médecin. Toutefois, ce qui l’intéresse ici, ce sont les protéines tau solubles qui donnent naissance à d’autres pathologies neurodégénératives, des maladies orphelines, bien moins fréquentes que l’Alzheimer, comme la maladie de Pick ou la dégénérescence cortico-basale pour en citer deux parmi une dizaine.

Depuis des années, ce n’est que lorsque le patient est décédé et qu’une autopsie de son cerveau est réalisée que les agrégats de protéines tau retrouvés confirment le type de maladie précis qui l’a terrassé. Avant cela, les médecins se basent sur des probabilités statistiques, couplées à leurs observations et examens divers pour émettre leur diagnostic. La confirmation définitive n’intervenant donc qu’après le décès.

Lire l’avenir dans les protéines tau solubles

Ce que le Pr Hanseeuw et ses collègues montrent désormais, c’est qu’il serait possible de faire un lien entre les protéines tau solubles circulant dans l’organisme et le type de maladie neurodégénérative qu’elles risquent d’entraîner à terme chez les patients.

Pour le montrer, ils ont étudié les agrégats de protéines tau chez les patients décédés, mais aussi les protéines tau solubles retrouvées chez ces mêmes patients.

Les formes agrégées de tau retrouvées dans le cerveau diffèrent d’une maladie à l’autre, alors que ce n’est pas le cas pour leur forme soluble. Par contre, en analysant la transformation de ces protéines (on dit  « modifications post-traductionnelles » dans le jargon), les chercheurs identifient des précurseurs de maladies spécifiques (Alzheimer et la dégénérescence cortico-basale, maladie de Pick et dégénérescence du lobe frontotemporal) dans les protéines solubles. De quoi pouvoir les détecter chez les patients en vie dès le début des symptômes, afin de mieux cerner la pathologie exacte dont il souffrent.

« Cela devrait aussi permettre d’imaginer des tests permettant d’identifier précocement la signature de ces maladies chez les patients vivants, via des tests réalisés suite à une ponction de liquide céphalo-rachidien, ou peut-être même un jour, une simple prise de sang », indique le neurologue. «  De quoi mieux prendre nos patients en charge. »

Isoformes, microtubules et stabilité des neurones

« Cela fait des années qu’on essaie de mesurer les isoformes (des variantes de la même protéine, qui change de quelques acides aminés) de la protéine tau dans le liquide céphalo-rachidien prélevé par ponction lombaire sur les patients, mais on n’y arrive pas. Pourquoi ? Parce que dans ce liquide, on n’observe pas de différences d’isoformes entre les tauopathies. Alors que dans la protéine agrégée, prélevée lors de l’autopsie, on distingue bien les isoformes 3R et 4R. »

En vérifiant chez des patients décédés toutes les modifications, d’une part sur la protéine soluble, d’autre part sur la protéine agrégée, les chercheurs ont découvert que des modifications sur la protéine soluble déterminent le type d’isoformes qui s’agrègent et donc président au type de maladie sur le plan biochimique.

A propos, à quoi sert la protéine tau dans notre cerveau? Ici aussi, le chercheur donne quelques clés. « Sa fonction est de stabiliser les microtubules, c’est-à-dire le « fil électrique » des neurones. Les 4R, des isoformes un peu plus longs, fixent davantage le microtubule, ce qui donne des neurones plus stables. Les 3R la fixent un peu moins bien, ce qui donne des neurones un peu plus flexibles. Par exemple, le fœtus humain n’a que des 3R, c’est-à-dire beaucoup de flexibilité et moins de stabilité. »

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