Il est de coutume de penser que durant l’Antiquité, on mangeait diablement mal. Les régimes alimentaires de piètre qualité d’alors auraient conduit à une malnutrition chronique. Les chercheurs wallons et flamands du projet AGROS, en mêlant leurs expertises en chimie et en archéologie, entendent tordre le cou à cette rumeur.
Production, conservation, cuisson
C’est que les premiers travaux qui ont évalué la richesse alimentaire des assiettes durant l’Antiquité (du 1er siècle avant J.-C. au 1er siècle après J.-C.) ne s’y sont pas pris de la bonne façon. En effet, ils se sont basés sur les aliments actuels et ont ensuite extrapolé leurs résultats au passé. « Mais la valeur nutritionnelle des aliments à l’Antiquité était clairement différente de la valeur actuelle de ces mêmes aliments », soutient Pr René Preys, égyptologue à l’UNamur.
Et cela, à cause notamment de la révolution verte. Engrais, pesticides, irrigation, sélection des variétés à haut rendement, cette nouvelle façon de produire de la nourriture a impacté la qualité nutritionnelle des aliments. A cela se combinent d’autres changements sociétaux, comme l’apparition du réfrigérateur. « Lorsque vous mettez de la nourriture dans le frigo, le froid peut en diminuer la valeur nutritionnelle. De même, la manière dont on cuit et dont on conserve les aliments influence leur qualité nutritionnelle. »
Décorticage minutieux des repas antiques
Pour lever le voile sur la qualité des repas du temps de Cléopâtre, les chercheurs belges fouillent le passé.
Les chimistes des denrées alimentaires de l’ULiège et de la VUB ont la charge d’analyser la valeur nutritive des restes d’aliments datant de l’Antiquité découverts au début du siècle dernier dans des vestiges de villes égyptiennes par une équipe d’archéologues américains.
« Du grain, mais aussi des plantes, ainsi que des morceaux de pain et de viande salée ont été préservés au cours des siècles grâce au climat chaud et sec qui règne en Égypte. Ces trouvailles archéologiques uniques sont conservées au Kelsey Museum of Archaeology. Jusqu’à aujourd’hui, elles ont été peu exploitées », mentionne Pr Preys.
Dieux et prêtres logés à la même enseigne
Mais attention, savoir la valeur nutritionnelle du pain antique, ce n’est pas suffisant pour juger du menu d’alors. Il faut aussi connaître la quantité des denrées consommées. C’est pour percer ce mystère que les archéologues belges entrent en scène.
L’équipe namuroise de Pr Preys va se focaliser sur l’analyse de textes hiéroglyphiques et de fresques murales. « Sur les murs des temples égyptiens de l’époque romaine, nous allons chercher des indices permettant d’identifier les denrées offertes aux dieux. Et en déduire ce que les prêtres d’alors mangeaient. »
« En effet, lorsqu’un morceau de viande ou de pain est déposé sur la table d’offrandes des dieux, ceux-ci ne s’en nourrissent que de manière intellectuelle. Des textes mentionnent d’ailleurs qu’ils se nourrissent du parfum des aliments. Pour éviter que les offrandes divines ne pourrissent, elles étaient partagées entre les prêtres. Un menu divin pour les serviteurs des dieux. Cette information culinaire est le point de départ de notre recherche », précise Pr René Preys.
Le papyrus, une mine d’informations
Les prêtres font partie de l’élite de la société égyptienne de l’époque romaine. Pour connaître le régime alimentaire de la population moins socialement favorisée, donc avec un accès limité à l’alimentation, des chercheurs de la KULeuven se concentrent sur l’analyse des papyrus.
Contrats de vente (telle personne a acheté x sacs de grains), conversation épistolaire, processus de fabrication de certains aliments : les papyrus reflètent la vie quotidienne du peuple. Mises en combinaison avec les connaissances relatives au menu des élites acquises par l’équipe de l’UNamur, ces informations permettront d’avoir un regard large sur l’alimentation humaine antique.
Dans le cadre du projet AGROS (Agriculture, diet and nutrition in Greco-Roman Egypt. Reassessing ancient sustenance, food processing and (mal)nutrition), on recréera également les anciennes techniques de transformation et de préparation des aliments afin de mesurer les changements (anti)nutritionnels à chaque étape des processus de production des aliments.
Ce projet a commencé il y a deux ans, et court jusqu’en décembre 2026. Il est financé par le programme EOS (Excellence of Science) du FNRS et du FWO.