À partir de son vécu de chirurgien orthopédiste à l’Hôpital Érasme (ULB), le Pr Maurice Hinsenkamp émet de sérieuses mises en garde dans «Notre santé: entre science, éthique et finance» de la collection l’Académie en poche.
Notamment, sur les sources de financement influençant la liberté des chercheurs ou des praticiens. Le remboursement des hôpitaux basé sur des forfaits qui interfèrent avec la liberté de réaliser le meilleur choix thérapeutique pour les patients. La diminution du nombre de jours d’hospitalisation. Le manque de neutralité et d’objectivité de certaines revues scientifiques qui contribue à la construction d’une fausse science.
La créativité fleurit dans les petites unités de recherche
En régression, les financements publics privilégient les grandes unités de recherche. «Pourtant, les petites abritent souvent des ressources d’originalité et de créativité à l’origine de découvertes majeures», relève le spécialiste de la hanche, fondateur de la Banque de tissus à l’hôpital académique de l’Université Libre de Bruxelles.
«Pour survivre malgré leur manque de subsides, les petites unités doivent fréquemment avoir recours à des conventions avec les entreprises commerciales. Ce qui implique souvent la production de résultats à moyen voire à court terme. Et parfois la perte du contrôle de leurs applications.»
À contrario, Maurice Hinsenkamp a vécu pendant plus de 23 ans une collaboration fructueuse entre le Laboratoire de recherche en orthopédie traumatologique de l’ULB et Electrabel, puis Elia, sur l’étude des effets biologiques des champs électromagnétiques. «La seule contrainte imposée aux chercheurs était la communication à l’entreprise du texte des articles scientifiques quinze jours avant leur publication. Trop tard pour permettre la moindre interférence.»
Protéger l’indépendance des chercheurs
«Notre objectif est d’encourager, là où un partenaire s’avère nécessaire, la formation de structures intermédiaires protégeant l’indépendance du chercheur», explique le membre de la Classe technologie et société de l’Académie royale de Belgique. «Elles pourraient représenter un cadre plus dynamique offrant plus de flexibilité tout en étant sous contrôle des institutions officielles existantes telles que le FRS-FNRS. Ou pourquoi pas l’Académie royale de Belgique?»
La pression du secteur privé
En chirurgie orthopédique, des moyens financiers importants ont imposé internationalement une seule des deux formes de consolidation des fractures osseuses: la fixation chirurgicale rigide avec vis. Et ce, en proposant des cours, un manuel, des milliers de stages gratuits de un à trois mois aux chirurgiens. En 2010, Synthès, l’entreprise suisse de prothèses osseuses, d’implants et d’instruments, présentait un bénéfice net annuel de 907,7 millions de dollars. En 2011, l’entreprise pharmaceutique étasunienne Johnson & Johnson l’a acquise pour 21,3 milliards de dollars.
«La fixation interne rigide, par sa réussite économique, a influencé le choix thérapeutique de plusieurs générations de praticiens», observe l’ancien président de la Société internationale de chirurgie orthopédique et de traumatologie. «Ce traitement, comme tout traitement médical, a ses indications et ses contre-indications. La popularité de cette technique s’est opposée pendant 40 ans au traitement plus physiologique et biomécanique respectant les processus naturels de consolidation osseuse.»
Moins de jours d’hospitalisation
Des chirurgiens proposent aux patients de quitter l’hôpital le jour même de l’implantation d’une prothèse totale de la hanche… «Il est bon de rappeler que, quelle que soit l’accélération des progrès due aux biotechnologies, l’horloge cellulaire reste immuable. En particulier l’échelle du temps biologique à laquelle sont soumis le développement et la réparation tissulaire.»
Si une réduction des frais passe par la diminution des jours d’hospitalisation, il faudrait envisager, selon le professeur honoraire Hinsenkamp, des structures intermédiaires comme des hôtels médicalisés à proximité des institutions hospitalières. Ces structures existent aux États-Unis. Elles se développent en France.