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Les objets transneptuniens sous l’œil des télescopes TRAPPIST

17 juillet 2023
par Camille Stassart
Temps de lecture : 6 minutes

Série : Pleins feux sur notre Système solaire (4/5)

Alors qu’il est surtout connu pour avoir révélé le système exoplanétaire TRAPPIST-1 en 2017, le réseau de télescopes liégeois TRAPPIST a aussi pris part ces dernières années à de nombreuses découvertes sur les petits corps du système solaire, et particulièrement sur les objets transneptuniens.

Situés au-delà de l’orbite de Neptune, ces objets glacés n’ont subi quasi aucune modification depuis leur formation, il y a 4,5 milliards d’années. Ils sont ainsi considérés par les astronomes comme de véritables « fossiles », renfermant des informations sur la genèse de notre Système solaire. Depuis peu, l’étude de ces objets nous en apprend aussi, et de façon inattendue, sur la formation des anneaux et des lunes.

Des objets aux glaces éternelles

En raison de leur orbite très lointaine et, pour la plupart, de leur petite taille, les objets transneptuniens (OTN) sont très difficilement observables. C’est seulement en 1992 que le premier a été détecté dans la Ceinture de Kuiper, réputée comme le principal réservoir de ces objets.

« Les corps qui composent cette ceinture seraient les restes du disque protoplanétaire de notre Système solaire qui entourait initialement le Soleil, et à partir duquel se sont formées les planètes », précise le Pr Emmanuel Jehin, maître de recherches FNRS au sein du groupe Origines Cosmologiques et Astrophysiques de l’Unité de recherche STAR de l’ULiège, et responsable des télescopes TRAPPIST.

Sur les 3.000 OTN que l’on connaît, on pense que la plupart sont riches en glaces d’eau, mais aussi de méthane et de monoxyde de carbone. Etant donné la distance qui les sépare du Soleil, ces glaces ont été conservées depuis leur formation. « Ces objets n’ont connu quasi aucune altération lors des 4,5 milliards d’années écoulées et contiennent dès lors des traces chimiques de la composition du disque protoplanétaire ». De plus, leur taille et leur orbite peuvent fournir des informations uniques sur la dynamique du Système solaire de l’époque.

 

Vue d’artiste Eris © NASA / ESA / A. Schaller STScI

Pluton et les quatre naines

L’OTN le plus célèbre de la ceinture de Kuiper est Pluton. Découvert en 1939 et considéré pendant longtemps comme la 9e planète du Système solaire, Pluton perd ce statut en 2006 à la suite de la découverte d’Eris.

« Quand Eris est détectée dans la ceinture de Kuiper en 2005, l’objet est d’abord classé par son découvreur comme la 10e planète. On pensait à l’époque qu’il était un peu plus grand que Pluton », explique l’astronome.

« Le problème est qu’on a commencé à découvrir d’autres objets de taille similaire dans cette région. Il était alors possible de se retrouver avec une dizaine de nouvelles planètes, voire plus, dans les années à venir. L’Union Astronomique Internationale a donc décidé de revoir la définition du statut de planète et de créer une nouvelle catégorie : les planètes naines ». Pluton et Eris, mais aussi Makémaké, Hauméa et Cérès, sont aujourd’hui classées comme telles.

En 2010, le télescope TRAPPIST-Sud, piloté par Emmanuel Jehin, participe à déterminer la taille exacte d’Eris. Pour y parvenir, les scientifiques ont utilisé la technique des occultations stellaires, qui consiste à observer l’ombre du corps étudié lorsque celui-ci passe devant une étoile.

Le télescope liégeois est l’un des deux instruments, sur les 26 mobilisés, à réussir l’observation de cette occultation ! « C’était d’ailleurs la première occultation observée pour un objet transneptunien, autre que Pluton », rappelle le Pr Jehin. « On a ainsi déterminé, entre autres, qu’Eris était un peu plus petite que Pluton. »

Occulation stellaire d’Eris © E.Jehin / TRAPPIST

Des anneaux théoriquement impossibles

Trois ans plus tard, TRAPPIST-sud collabore à l’étude de Chariklo, un astéroïde de glace proche de l’orbite d’Uranus. Lors de leurs observations, les astronomes ont la surprise de découvrir autour de l’objet un double anneau. « On ne s’y attendait pas du tout. On ignorait même que ça pouvait exister ! Si les planètes géantes ont toutes des anneaux – Saturne, mais aussi Uranus, Neptune et Jupiter – , c’était la première fois qu’on en trouvait autour d’un objet de seulement 250 km de diamètre ! »

Depuis lors, les télescopes TRAPPIST ont contribué à la détection d’anneaux autour de deux autres OTN : Hauméa, en 2017, et tout récemment Quaoar, en février 2023.

« Ce qui est très surprenant avec Quaoar, c’est que son anneau se trouve bien au-delà de la limite de Roche », fait savoir le Pr Jehin. Pour rappel, l’astronome Edouard Roche a démontré au 19e siècle qu’un satellite en orbite autour d’un astre se désagrège en dessous d’une certaine distance, et forme alors un anneau. Au-delà de cette distance, l’anneau s’agglomère, jusqu’à former une Lune. « Dans le cas de Quaoar, à cette distance, on aurait théoriquement dû découvrir une Lune. »

Vue d’artiste de Qaoar © Sylvain Cnudde- Observatoire de Paris – PSL-LESIA

Une théorie à revoir ?

Comment expliquer cette singularité ? « On sait que Quaoar possède un satellite, Weywot. La stabilité de l’anneau pourrait ainsi être due à la présence de cette Lune ». Une autre hypothèse serait que les astronomes auraient eu la chance inouïe de détecter une Lune en cours de formation, toujours au stade d’anneau. « Mais comme la formation d’une Lune est très rapide – seulement quelques années – les probabilités sont assez faibles ». Une autre possibilité est qu’il faudrait revoir et améliorer la théorie de Roche pour ces cas particuliers.

« Dans tous les cas, nos recherches prendront dorénavant en compte l’idée que des anneaux peuvent orbiter à une distance bien plus lointaine qu’imaginée jusqu’ici. La découverte de ces anneaux au cours des 10 dernières années a véritablement ouvert un nouveau champ de recherche dans l’étude des objets transneptuniens », conclut Emmanuel Jehin.

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