Des clés pour mieux prévenir, mieux gérer une pandémie

17 septembre 2021
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes
"Dans l’œil de la pandémie", par Jacinthe Mazzocchetti et Pierre-Joseph Laurent. Editions Academia. VP 20 euros, VN 14,99 euros
“Dans l’œil de la
pandémie”, par Jacinthe Mazzocchetti et Pierre-Joseph Laurent. Editions Academia. VP 20 euros, VN 14,99 euros

Jacinthe Mazzocchetti et Pierre-Joseph Laurent plongent dans «Dans l’œil de la pandémie» aux éditions Academia. Les deux membres du Laboratoire d’anthropologie prospective (LAAP) de l’UCLouvain voient une soif d’écoute, de reconnaissance et de participation dans les manifestations anti-masques. Dans l’adhésion à la pensée conspirationniste.

Pour les chercheurs, «il semble important de ne pas laisser les colères, les inquiétudes, les critiques uniquement dans les mains de l’ultra-droite, tapie en arrière-scène de ces mobilisations critiques, qu’elle soit d’inspiration libertaire ou conservatrice.»

Sauver la santé pour préserver l’économie

L’agronome-anthropologue Pierre-Joseph Laurent s’appuie sur une étude comparative de mars à juin 2020. Basée sur des articles scientifiques et de presse, elle cherche à comprendre la diversité des réponses de 17 États européens, et de 42 autres pays, acculés au même dilemme. Sauvegarder l’économie ou la santé de la population.

Dans le bimestriel étatsunien Health, des chercheurs écrivent qu’il faut sauver la santé d’un maximum de citoyens pour préserver l’économie. De son côté, la Suède a choisi l’économie et le non-confinement. L’Autriche, l’Irlande, le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont suivi la même piste. Avant de s’en détourner.

«Le coût du pari fut d’accepter un nombre de décès pour espérer atteindre l’immunité collective et maintenir les affaires», explique le membre de l’Académie royale de Belgique.

La Belgique se singularise

Sortie des premiers bilans, fin juin 2020. «La Suède connaît 5 fois plus de morts que le Danemark, 10 fois plus que la Norvège voisine», relève le chercheur. «Et de nombreux décès dans les maisons de retraite. Sans pour autant avoir atteint l’objectif de l’immunité collective. Le non-confinement n’a pas protégé l’économie.»

La Belgique? «Sans être confondues, la Belgique, l’Espagne, la France et l’Italie forment un groupe qui a établi des compromis quant à l’arbitrage entre la santé de la population et l’économie. Et a été contraint au confinement total de plusieurs semaines.»

Le professeur à l’UCLouvain note que «dans ce groupe de pays, la Belgique se singularise toutefois par la faiblesse de l’État fédéral. Avec par exemple, 7 entités responsables de la santé. En crise politique permanente depuis des décennies, le pays brille par son manque de leadership. Et une absence d’autorité reconnue de tous.»

La défiance grandit

Jacinthe Mazzocchetti agrémente le livre de poèmes. L’anthropologue constate que la défiance grandit à l’égard d’un monde politique «qui ne semble plus à même de répondre aux grandes questions contemporaines: inégalités croissantes, violences, changements climatiques. Mais aussi à s’autonomiser des lobbies notamment à l’égide des multinationales.»

Amplifiée par des rumeurs et la gestion problématique de la covid-19, cette méfiance s’étend aux intellectuels, aux scientifiques. Les experts présentés, ou promus, par les institutions officielles sont soupçonnés d’être malhonnêtes ou manipulés. Les journalistes ne sont pas épargnés. Ils sont assimilés aux élus considérés comme incompétents ou corrompus.

Selon la professeure à l’UCLouvain, il est devenu indispensable de distinguer pensée critique et pensée conspirationniste.

«D’un côté, les fonctionnements et dysfonctionnements de notre système économique, politique, sanitaire peuvent être décrits et analysés à travers des outils et des études fournies par les sciences sociales sans avoir recours à la pensée conspirationniste. De l’autre, cela ne signifie pas que les producteurs et adeptes des théories conspirationnistes ne sont pas dans des dynamiques de recherche d’informations. Au contraire, le temps passé à glaner des contenus sur Internet peut être conséquent. Au point même d’en devenir obsessionnel.»

Répondre aux questions, aux critiques

Certains discours complotistes font peur à Jacinthe Mazzocchetti. «Les entendre, c’est aussi et surtout écouter grandir la perte de confiance dans les institutions, la désolation, la rage. Répondre à cette préoccupation grandissante de désinformation et des théories conspirationnistes ne peut dès lors se faire qu’à l’écoute des questions, des angoisses, des critiques des citoyennes et des citoyens qui trouvent là à apaiser leurs doutes. À donner du sens aux dérives de notre monde.»

Les chercheurs envisagent le statu quo comme issue hautement probable de la pandémie. Retourner au monde d’avant demande de prendre notamment en considération le remboursement de la dette contractée pour gérer la crise sanitaire. Le risque d’une génération sacrifiée. Le chômage. Les inégalités en matière d’âge, de genre, de classe sociale. Les changements climatiques. La gouvernance par les réseaux sociaux et le contrôle des populations par Internet.

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