Antiphonaire de Salzinnes, 1554-1555. Gouache et encre métallo-gallique rehaussée d’or et d’argent sur parchemin. Halifax, Bibliothèque Patrick Power, Université Saint Mary’s, inv. M2149.L4 1554. © Alamire Digital Lab, Leuven, Belgium

Un livre sacré unique, enluminé à l’or, visible pour la première fois en Belgique

17 octobre 2023
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 4 min

C’est une véritable saga historique et religieuse que retrace le TreM.a-Musée des Arts anciens du Namurois. Au centre de l’affaire, l’antiphonaire de Salzinnes. Ce livre de musique traditionnelle fut commandé au 16e siècle par Julienne de Glymes, cantrix et prieure de l’abbaye de Salzinnes, avant d’être emporté au Canada par l’archevêque d’Halifax vers 1850. Au décès de ce dernier, on perd la trace du précieux ouvrage jusqu’en 1998, année de sa redécouverte. Depuis lors, il fait l’objet d’études et d’expositions, comme celle dénommée « Des siècles de silence », qui se tient à Namur jusqu’en février 2024. Il s’agit de la toute première présentation publique de l’ouvrage en Europe depuis sa création, il y a quelque 460 ans.

Antiphonaire de Salzinnes, 1554-1555. Gouache et encre métallo-gallique rehaussée d’or et d’argent sur parchemin. Halifax, Bibliothèque Patrick Power, Université Saint Mary’s, inv. M2149.L4 1554 © Alamire Digital Lab, Leuven, Belgium

Le chant et la musique au centre

Les Cisterciens ou Moines Blancs, en référence à la couleur de leurs habits de chœur, ont été fondés en 1098. Tout comme les moines, les religieuses de cet ordre ne s’adonnaient pas au travail manuel, réservé aux sœurs laïques. Elles consacraient leur temps à la dévotion via des offices diurnes et nocturnes, des messes et des lectures religieuses.

Au 15e siècle, Salzinnes était, par ses revenus et l’étendue de ses biens, la plus puissante abbaye féminine du comté de Namur. « A cette époque, l’art et la musique jouaient un rôle majeur dans les pratiques liturgiques. Et revêtaient une importance particulière pour l’ordre cistercien », explique Aurore Carlier, commissaire de l’exposition et conservatrice à la Société archéologique de Namur.

Antiphonaire de Salzinnes, 1554-1555. Gouache et encre métallo-gallique rehaussée d’or et d’argent sur parchemin. Halifax, Bibliothèque Patrick Power, Université Saint Mary’s, inv. M2149.L4 1554 © Alamire Digital Lab, Leuven, Belgium

Un livre version XXL

« La cantrix était en charge de la préparation et de la coordination du chant. Le répertoire des chants étant vaste, les antiphonaires étaient constitués de deux volumes organisés suivant l’année liturgique : un consacré à l’hiver, comme celui de Salzinnes, l’autre à l’été. »

« L’antiphonaire est un livre surdimensionné conçu pour garantir que les pages de musique et de texte puissent être facilement vues depuis un pupitre par le chœur. »

Surdimensionné, l’adjectif est on ne peut plus correct. Imaginez un mastodonte de 61,5 cm de haut, sur 39,5 cm de large et 14,5 cm de profondeur. Il est composé de pas moins de 480 pages de parchemin. Et le tout pèse … 16,3 kilos. On est loin du livre de poche !

Doté d’un tel format gigantesque, l’antiphonaire ne se tenait, bien sûr, pas à la main, mais était posé sur le lutrin d’église durant l’office liturgique.

Vue de l’exposition © Namur, Société archéologique

De précieuses enluminures

« En raison de leurs dimensions, les antiphonaires étaient chers à produire. Ils exigeaient un engagement financier de l’abbaye. Et, dans certains cas, un engagement de la communauté au sein du scriptorium », poursuit la commissaire de l’exposition.

« Ce qui rend l’antiphonaire de Salzinnes unique, sans précédent connu, ce sont ses nombreuses images religieuses enluminées, des décorations au fond rehaussé d’or. Elles sont accompagnées d’une identification manuscrite, ses références à trois ordres religieux distincts et les reproductions des armoiries de ses mécènes. »

L’antiphonaire de Salzinnes se divise en trois grandes sections, dont le temporal, consacré au cycle annuel des fêtes mobiles et le sanctoral, dédié au cycle des fêtes de saints fixes. Il a été réalisé à la main sur parchemin. Pour ce faire, des artisans se sont succédé sur l’ouvrage : fabricant de parchemin, aussi appelé parcheminier, scribe, enlumineur, relieur. « Chaque spécialité exigeait un remarquable savoir-faire. Et l’ouvrage reflète le style de ses artisans, ainsi que leurs influences régionales. »

« Les manuscrits enluminés comptent parmi les documents historiques, sociaux et sacrés les plus importants jamais créés. L’étude de leurs compositions, formes et fonctions fournit une quantité exceptionnelle d’informations. L’antiphonaire de Salzinnes, en particulier, fournit de précieuses informations sur le contexte socio-économique, la liturgie, la musicologie et l’histoire de l’art », conclut Aurore Carlier.

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