C’est parti pour plusieurs années de fouilles archéologiques à Ostende et au large de sa côte. Une équipe pluridisciplinaire tente de reconstituer ce qui s’est passé au littoral belge au cours de ces dernières centaines d’années. Avec comme question centrale le cas de la péninsule ostendaise de Testerep. Cette péninsule s’étendait autrefois de Westende à Ostende, et était séparée du reste du continent par un large canal à marées.
Voyage dans le temps et dans l’espace
« La période couverte par l’étude remonte sur les cinq mille dernières années », explique Soetkin Vervust, l’archéologue de la VUB qui copilote ce projet. « Au cours de cette période, la vitesse à laquelle le niveau de la mer s’est élevé est restée plus ou moins constante, sauf au cours du dernier siècle. »
La postdoctorante avait récemment été invitée par Daily Science à venir détailler ses recherches lors de l’opération « Frites et Sciences », organisée à Bruxelles.
« Dans le même temps, notre littoral est cependant passé d’un paysage naturel à un paysage très fortement influencé par l’Homme, surtout au cours des vingt derniers siècles. Le littoral d’aujourd’hui, largement bâti, n’a plus rien à voir avec celui de l’époque de Testerep », précise-t-elle.
Des Romains et des éleveurs de moutons
Au départ, le littoral belge ressemblait à une gigantesque tourbière. À l’âge du fer puis à la période romaine, le paysage côtier a profondément changé, notamment en raison de l’exploitation massive de tourbe par les Romains en vue de disposer de combustibles. Ils ont drainé les terres, créant de grandes dépressions dans le paysage, lesquelles ont été envahies par la mer. Un paysage de marées s’est ainsi formé progressivement.
« À partir du 7e ou du 8e siècle, après une période de présence humaine réduite, des éleveurs de moutons, qui vivaient sur les reliefs les plus élevés, ont occupé le terrain », explique Soetkin Vervust. « Par la suite, ces terres sont devenues la propriété des comtes de Flandre, lesquels s’approprieront aussi les marais salés récemment envasés le long de la côte. »
« Nous pensons que les premières digues ont été construites il y a environ 1000 ans. D’abord des digues annulaires autour de petites étendues de marais, puis de longues constructions pour endiguer les canaux, y compris le canal qui séparait jusqu’alors la péninsule de Testerep du continent ».
La ville primitive d’Ostende emportée par les flots en 1394
« Ensuite, les digues ont été doublées par les premières infrastructures de gestion de l’eau, tels que les fossés de drainage et de petits systèmes d’écluses. L’endiguement des dépressions a également eu pour conséquence que les habitants de la plaine côtière ne pouvaient plus les utiliser comme voies d’accès à la mer, d’où la nécessité de s’installer plus près du littoral. »
« Cela n’était pas sans danger : les structures plus proches de la côte et les petites criques restantes étaient très vulnérables aux tempêtes, à l’érosion côtière et au déplacement des dunes à l’intérieur des terres », souligne la chercheuse.
« L’implantation primitive d’Ostende en est le témoin. Fondée en 1266 à l’extrémité orientale de Testerep, la cité a été presque entièrement emportée par une forte tempête en 1394. »
Comprendre le passé pour protéger le littoral actuel
« Ce qui en reste aujourd’hui se trouve sous nos pieds, sous la plage, mais aussi sous la mer. Ce sont ces traces qui alimentent nos recherches. Nous voulons, entre autres, savoir jusqu’où Testerep s’étendait au large, comment les positions du littoral et les grands chenaux ont évolué et quels impacts la fermeture de ces chenaux a eu sur les processus naturels d’érosion et de sédimentation de la côte. »
Pour mener cette recherche à bien, l’archéologue et ses collègues ont recours à des études géophysiques, des forages, des fouilles terrestres, des analyses de pollens, mais aussi des analyses carbone 14 de certains artefacts.
« Ces informations seront utilisées par des ingénieurs hydrauliques afin d’étudier, à l’aide de modèles mathématiques, les facteurs qui ont conduit à la création et à la disparition de Testerep. Ces informations devraient permettre de proposer des mesures de protection côtière significatives, susceptibles de résister à la hausse future du niveau des mers », conclut la scientifique.