Delta du Zambèze – image issue de données Copernicus Sentinel 2016 © ESA

Le transport du carbone entre terres et mers, un processus sous-estimé

18 mars 2022
par Daily Science
Temps de lecture : 4 minutes

En régulant les niveaux en dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère, les écosystèmes terrestres et l’océan jouent un rôle climatique primordial. Ces deux environnements sont cependant souvent perçus comme étant déconnectés. Ce qui conduit à ignorer le transfert de carbone des continents vers l’océan ouvert au travers d’une succession complexe de systèmes aquatiques appelée continuum aquatique Terre-Mer (LOAC pour « land-to-ocean aquatic continuum »).

Produit ici, absorbé là

En collaboration avec des scientifiques français et nord-américains, Pierre Regnier, professeur au sein du Laboratoire de Biochimie et Modélisation du Système Terre de l’ULB, a mis en évidence que le LOAC transporte d’énormes quantités de carbone d’origine anthropique (c’est-à-dire provenant principalement de la combustion d’énergie fossile).

En d’autres termes, le carbone atmosphérique absorbé par les écosystèmes terrestres n’est pas entièrement séquestré localement, comme cela est communément admis, mais est exporté vers le LOAC.

Ce constat a des implications importantes pour les inventaires de carbone nationaux réalisés dans le cadre des accords globaux sur l’empreinte carbone de chaque pays.

Les chercheurs ont également découvert que le transfert de carbone continent-océan d’origine naturelle est plus important que précédemment estimé. Ce résultat a des conséquences pour les estimations de CO2 anthropique séquestré par les océans ouverts et les écosystèmes terrestres.

Une complexité à intégrer dans les modèles

« La complexité du LOAC, qui inclus les rivières, les eaux souterraines, les lacs, réservoirs, estuaires, la végétation côtière comme les mangroves et les eaux peu profondes de la plate-forme continentale, a rendu l’analyse de leur rôle sur le cycle du carbone global particulièrement difficile », explique Pr Pierre Regnier. A noter que le CO2 retiré de l’atmosphère par ces mêmes écosystèmes se dénomme carbone bleu.

Jusqu’alors, les synthèses se focalisant sur le budget global du carbone, comme celles réalisées par le Groupe Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) et par le « Global Carbon Project », faisaient l’hypothèse simplificatrice d’un transfert de carbone via un « pipeline » connectant directement l’embouchure des rivières à l’océan ouvert.

Une autre hypothèse simplificatrice était que tout le carbone transporté était d’origine naturelle, négligeant par-là les impacts des perturbations humaines sur le LOAC, comme la construction massive de barrages ou la décimation de la végétation côtière.

Budgets de carbone réestimés

Dans leur étude, les chercheurs ont synthétisé les connaissances de plus de 100 études individuelles sur les différents composants du LOAC. De cette synthèse, des budgets de carbone du LOAC ont été établis pour deux périodes de temps correspondant respectivement aux conditions préindustrielles et contemporaines.

Leurs résultats confirment l’existence de la boucle de carbone préindustrielle via laquelle du carbone atmosphérique fixé par les écosystèmes terrestres est transféré par les rivières jusqu’à l’océan ouvert, où il est à nouveau dégazé vers l’atmosphère.

« Nous avons cependant calculé que la quantité de carbone transféré par cette boucle naturelle, 0,65 milliards de tonnes par an, est environ 50 % plus importante que précédemment estimé », précise Laure Resplandy, Professeure Assistante à l’Université de Princeton, qui a codirigé l’étude.

Delta du Gange – image issue de données Copernicus Sentinel 2017 © ESA

Un processus scindé en deux

L’équipe a également mis en évidence que cette boucle est, en réalité, constituée de deux boucles plus courtes, une transférant du carbone des écosystèmes terrestres aux eaux continentales, et une autre transférant du carbone de la végétation côtière (communément dénommées «  écosystèmes carbone bleu ») vers l’océan ouvert.

« Un flux de carbone continent-océan préindustriel plus intense implique que l’absorption de CO2 anthropique océanique, tel que déterminé par les observations, était sous-estimée », explique Pre Resplandy.

« Le revers de la médaille est que l’absorption au niveau des continents était surestimée », ajoute Pr Regnier.

Les sédiments, un lieu de stockage stable

L’étude démontre également que le carbone anthropique transporté par les rivières est dégazé vers l’atmosphère, mais peut également être séquestré dans les sédiments aquatiques et l’océan ouvert.

« Cette nouvelle perspective du budget de CO2 anthropique pourrait introduire un aspect positif, car il est raisonnable de penser que les sédiments et l’océan constituent des environnements de dépôts de carbone plus stables que la biomasse terrestre et les sols, quant à eux vulnérables aux sécheresses, aux feux et au changement d’occupation des sols », précise Philippe Ciais, Directeur de Recherche au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement et un des auteurs de l’étude.

Réduction de la capacité d’absorption du CO2

Les chercheurs ont aussi révélé que les activités humaines sont responsables d’une perte considérable de la capacité d’absorption de CO2 par les « écosystèmes carbone bleu », une perte pouvant atteindre de l’ordre de 50 %.

« Si, à l’avenir, ces écosystèmes ne sont pas mieux protégés de l’augmentation du niveau des mers, de la pollution et du développement le long des côtes, la fixation de carbone bleu continuera à décroître et contribuera à amplifier le réchauffement climatique », concluent les chercheurs.

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