Des éoliennes offshore temporairement à l’arrêt pour laisser passer les oiseaux migrateurs

23 mars 2022
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 7 min

En mars et en avril, vers le nord. En octobre et en novembre, vers le sud. Les oiseaux chanteurs traversent la mer du Nord en grand nombre pendant les migrations printanières et automnales. Mais lorsqu’ils volent dans les fermes d’éoliennes offshore, le risque est grand qu’ils entrent en collision avec les pales. Une solution efficace pour amoindrir ce carnage est d’arrêter temporairement les éoliennes au plus fort des flux migratoires. Alors que cette mesure sera d’application aux Pays-Bas dès 2023, une étude menée par des chercheurs de l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique (IRSNB), à l’aide d’un radar installé dans un des parcs éoliens au large de la côte belge, montre qu’arrêter nos éoliennes offshore durant une dizaine d’heures par an épargnerait de nombreuses vies.

Migrateurs, mais désorientés

Le sud de la mer du Nord est un haut lieu migratoire. On estime entre 85 millions et plusieurs centaines de millions, le nombre d’oiseaux, majoritairement non marins, qui y voyagent.

Lors de la migration, ils volent souvent plus haut que lorsqu’ils se nourrissent ou se déplacent entre les sites. En effet, ils évoluent à l’altitude qui leur permet de limiter leurs dépenses énergétiques. En fonction de l’espèce aviaire, cela va du niveau de la mer à 10 km au-dessus de sa surface. « Un phénomène général est que les oiseaux volent haut avec le vent arrière et qu’ils volent à une altitude plus basse avec le vent de face », notent les scientifiques.

Nombre d’oiseaux enregistrés par jour par le radar belge en automne 2019 (au-dessus) et au printemps 2021 (en bas). Le flux migratoire le plus intense a été relevé en octobre 2019 avec un maximum de 17.511 individus par jour. Au printemps, il était de 4.870 individus le 20 mars 2021© Brabant R.et al. – Cliquer pour agrandir

Les pics de migration intense se produisent par beau temps avec des conditions de vent favorables. Lorsque les conditions météorologiques se dégradent, les oiseaux abaissent leur altitude de vol. Désorientés et affaiblis, ils sont alors nombreux à se retrouver à hauteur des éoliennes offshore et à entrer en collision avec elles.

Ce sont essentiellement des merles noirs, des grives musiciennes, des grives mauvis et de rouges-gorges originaires de Scandinavie et d’Europe du Nord-Est qui hivernent en Angleterre.

Nombre d’oiseaux par tranche de 50 mètres d’altitude depuis le niveau de la mer en automne 2019 (au-dessus) et au printemps 2021 (en bas). Tant à l’automne 2019 qu’au printemps 2021, le nombre d’oiseaux diminue avec l’altitude. 11,9 % des oiseaux enregistrés à l’automne 2019 ont été détectés dans les 50 m les plus bas. Au printemps 2021, c’est même 22,7 %. Le pourcentage de traces d’oiseaux détectées à la hauteur du rotor (soit entre 24 et 193 m) est similaire au cours des deux périodes d’étude, soit 41,4 % à l’automne 2019 et 38,2 % au printemps 2021 © Brabant R. et al.- Cliquer pour agrandir

Les Pays-Bas prennent le problème au sérieux

Depuis de nombreuses années, les Pays-Bas ont placé des radars le long de leur côte pour enregistrer la masse de volatiles qui évoluent à hauteur des pales. Selon leurs études, une mesure efficace pour réduire le nombre de collisions avec les éoliennes est d’abaisser leur vitesse de rotation à moins d’un tour par minute lorsque le flux d’oiseaux dépasse 500 individus par kilomètre (km) et par heure (h). Les chercheurs bataves ont estimé que cela représente 30 heures de turbines à l’arrêt, soit 3 à 4 nuits par an.

Cette mesure sera d’application obligatoire à partir du 1er janvier 2023. Toutefois, « un arrêt des pales en temps réel, dès que le radar détecte un dépassement de la valeur seuil de 500 oiseaux par km et par h, s’est avéré impossible après consultation des exploitants de parcs éoliens offshore. En effet, afin de ne pas faire peser de risques sur la stabilité du réseau électrique, ils doivent savoir au moins 24 heures à l’avance, et de préférence 48 heures, si les éoliennes doivent être arrêtées », mentionne Dr Robin Brabant, biologiste marin à l’IRSNB.

« Pour y remédier, l’Université d’Amsterdam développe un modèle de prédiction de la migration intense des oiseaux, basé sur les données météorologiques et celles des radars dédiés aux oiseaux. L’objectif principal est de prédire les événements de migration intense, sur la base desquels l’inactivité des éoliennes pourra être planifiée longtemps à l’avance. »

Afin de collecter suffisamment de données dans la zone pour le développement de ce modèle, le gouvernement néerlandais a investi dans un réseau de 6 nouveaux radars dédiés aux oiseaux en mer.

Près de 800 vies auraient pu être épargnées

Un radar a également été installé dans une des fermes éoliennes au large de la côte belge. Lors de deux saisons migratoires, il a fonctionné en continu et enregistré la masse de volatiles qui passaient devant lui.

Un flux d’oiseaux supérieur à 500 individus par km et par h, à hauteur de rotor, s’est produit 14 fois au cours de l’automne 2019 (avec un maximum de 995 oiseaux / km / h), toujours durant la nuit. Par contre, aucun dépassement du seuil n’a été observé au printemps 2021 : un maximum d’à peine 261 oiseaux / km / h a été recensé.

En automne 2019 (au-dessus), la valeur seuil de 500 oiseaux par km et par h à hauteur de rotor (représentée par la ligne rouge) a été dépassée 14 fois, après le coucher du soleil. Et aucune fois au printemps 2021 (en bas). Le flux migratoire le plus intense à la hauteur du rotor était de 995 oiseaux par km et par h le 14 octobre 2019 entre 22h00 et 23h00 CET © Brabant R.et al. – Cliquer pour agrandir

« En appliquant un modèle de risque de collision sur le flux de volatiles détecté, un nombre total estimé de 761 collisions d’oiseaux chanteurs aurait pu être évité si les turbines des parcs éoliens offshore belges avaient été arrêtées pendant les 14 heures de l’automne 2019 durant lesquelles le flux d’oiseaux a dépassé 500 individus/km/h », pointe Dr Brabant.

14 heures de dépassement dans les fermes offshore belges, contre 30 heures dans le parc batave adjacent de Borssele. Comment expliquer cette différence ? « Notre radar n’est pas capable de différencier de manière fiable les oiseaux individuels des petits troupeaux d’oiseaux. Ce qui signifie que le trafic migratoire est sous-estimé. Par ailleurs, ces résultats sont basés sur plusieurs hypothèses (notamment le taux d’évitement des rotors et la vitesse de vol des oiseaux). Ils doivent donc manipulés avec précaution et être considérés comme une estimation de l’ordre de grandeur du nombre de collisions prévu. » Pas comme un chiffre absolu.

Vers une homogénéisation ?

A partir du 1er janvier 2023, tous les parcs éoliens offshore néerlandais, dont celui de Borssele, accolé aux fermes éoliennes belges, devront arrêter les pales lorsque le flux migratoire dépassera 500 oiseaux par km et par h à hauteur de rotor.

Cartographie des parcs éoliens offshore en mer du Nord. A gauche, les fermes belges, adjacentes, à droite, avec les fermes néerlandaises de Borssele © Brabant R. et al. – Cliquer pour agrandir

Tinne Van der Straeten (Groen), ministre fédérale belge de l’énergie, entend construire une zone éolienne offshore supplémentaire en mer du Nord belge pour atteindre un total de 8 GW installés. Jusqu’alors, l’objectif était de 5,8 GW en tenant compte de la zone fonctionnelle existante et de la future zone Princesse Elisabeth, qui commencera à être opérationnelle en 2027.

Le développement de parcs éoliens offshore belges en mer du Nord aura un impact négatif sur les oiseaux migrateurs. Mais, « actuellement, il n’y a aucune procédure d’arrêt des éoliennes belges lors des épisodes migratoires intenses. En 2023, on pourrait dès lors avoir des éoliennes belges en mouvement, alors que celles de Borssele, juste de l’autre côté de la frontière, seraient à l’arrêt… » A noter, toutefois, qu’il existe une possibilité, dans les permis environnementaux des fermes éoliennes offshore belges, de mettre sur pied une telle mesure.

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