Recherche : et si on essayait la désexcellence ?

18 mai 2015
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 4 min

Les chercheurs sont sous pression. Evaluations, course aux publications scientifiques, quêtes incessantes de budgets, compétitivité, accroissement continu des performances… Leurs journées sont bien remplies.
 
Trop remplies!”, tonne le LAC “l’Atelier des Chercheurs” de l’Université Libre de Bruxelles (ULB). A qui la faute ? “A “l’Excellence”, prêchée à tout va depuis une vingtaine d’années et qui a fini par percoler au sein même de la recherche universitaire”, s’inquiètent-ils.
 
Intégré au sein du LAC, les scientifiques du “Collectif des Désexcellents” réfléchissent depuis 2011 à ces dérives contemporaines qui minent le monde de la recherche et de l’enseignement universitaires. Lors du récent colloque organisé à l’ULB sur l’évaluation de la recherche  Penser la science, six chercheurs “désexcellents” ont détaillé leur point de vue sur cette dérive.

 

La méthode BVLM : “Beaucoup, vite, loin, mal”

 

Nous prônons la désexcellence, car derrière l’appel obsessionnel à l’excellence de la recherche s’impose une nouvelle raison évaluatrice qui, à nos yeux mine les fondements mêmes de la recherche” estime le Dr Chloé Deligne, Chercheur qualifiée du F.R.S.-FNRS et historienne.
 
Pour illustrer leur propos, les Désexcellents résument la situation en l’assimilant à la méthode BVLM : “beaucoup, vite, loin et… mal”.

 

Toutes les grilles d’évaluation auxquelles nous sommes soumis nous invitent à produire beaucoup”, souligne le Pr Eléonore Wolff, géographe. “Beaucoup d’articles, et ce n’est même plus du “publish or perish”, on parle désormais de frénésie publicationnelle. Comme l’info en continu. Les chercheurs sont invités à publier en continu…. Au bout du compte ? On saucissonne les résultats d’une recherche en plusieurs publications au lieu de privilégier un article de synthèse. On voit apparaître des articles “programmatiques”, annonçant une recherche, ou encore, des articles dont certains auteurs n’ont pas participé à la recherche mais ont monnayé leur signature…

 

Faire son bac, son master et son doctorat dans une même université devient suspect
 
Pour faire beaucoup, il faut forcément faire vite”, indique le Pr Olivier Gosselain, anthropologue, un autre “Désexcellent”. “Une thèse excellente n’est plus une maturation intellectuelle. C’est plutôt un ensemble de publications. Et quand on fait “vite”, cela signifie que nous nous retrouvons sans cesse dispersés, soumis à de situations insolubles, tiraillés entre différents types de tâches qu’il faut cumuler, additionner, multiplier ».

 

Quant au “Loin” de la méthode BVLM, c’est bien entendu l’indispensable internationalisation de la carrière, de la recherche, qui est pointée du doigt.
 
Un CV qui montre qu’on a obtenu son BA, son MA et son doctorat au sein d’une même université devient suspect”, note le Collectif. « La pression s’intensifie même sur les étudiants, au travers de la surpromotion des échanges Erasmus”.

 

L’attrait de la “Slow science”

 

Au bout du compte, le “M” de la méthode BVLM s’impose de lui-même.
 
La mise en concurrence des chercheurs et ses outils, la mesure de la productivité nous pousse à mal faire notre travail. Au nom de l’excellence, c’est une bouillie de plus en plus insipide et parfois toxique que nous sommes amenés à produire”, déplore le Pr Jean-Michel Decroly, géographe. “Alors que l’élaboration de connaissances nouvelles repose aussi sur l’imagination, la curiosité, l’échange d’idées, la réflexion, le rêve. Autant d’activités qui demandent beaucoup de temps…

 

Une pensée néolibérale et managériale dont s’accommode mal la Science

 

L’excellence, ce cheval de Troie de la pensée néolibérale et managériale, ce mot d’ordre, dissimule mal la mise en concurrence généralisée, la précarisation, la dévalorisation des savoirs minoritaires ou construits sur l’expérience, l’indifférence aux contenus ou encore la confiance absolue attribuée aux évaluations standardisées”, répètent-ils volontiers.

 

Le Collectif propose dès lors une charte. Une charte de la désexcellence, bien sûr.
 
Cet appel à la « désexcellence » ne revient pas à regretter un « âge d’or », qui n’a jamais existé.  Mais à s’opposer, par nos pratiques, au dévoiement actuel des universités » concluent-ils.

 

La difficile mutation de la recherche

 

Le texte complet de l’intervention des Désexcellents est accessible sur le site de l’Atelier des Chercheurs. Leur présentation au colloque consacré à l’évaluation de la recherche, dans le cadre des Séminaires Ilya Prigogine « Penser la science » à l’ULB, n’a pas laissé le public indifférent. Soulignons aussi que ce colloque a tenté de réaliser un état des lieux de la question, en abordant de multiples facettes de l’évaluation scientifique. Une seconde journée, prévue en octobre prochain, explorera les alternatives par rapport à la situation actuelle.

 

 

L’illustration en haut d’article est tirée du site web « Penser la science »

 

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