A Liège, des chercheurs dissèquent les jeux vidéo

18 juillet 2019
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes
«Culture vidéoludique!» par le Liège Game Lab. Editions Maison des Sciences de l’Homme, Coll «Petite collection MSH» – VP 10€

Avec la «Culture vidéoludique!», le Liège Game Lab enrichit la «Petite collection MSH» des Presses universitaires de Liège. Les publications de la Maison des Sciences de l’Homme de l’ULiège alimentent un espace de réflexion, d’échange et d’engagement pour un large public.

Pleins feux sur les réalisations des amateurs

Les chercheurs du Liège Game Lab sont issus de différentes disciplines des sciences humaines. Pour eux, le jeu vidéo est un objet culturel. Comme la littérature, la musique, le cinéma, la BD ou les séries télévisées. Cela leur permet d’étudier l’avant, l’après et l’à-côté du jeu. De se pencher sur les joueurs secondaires qui observent les comportements des autres joueurs. De dresser un panorama de la recherche sur l’avatar, ce virtuel pilotable par les joueurs. D’examiner l’univers fictionnel de l’activité. De nouer un lien entre jeu vidéo, littérature, cinéma, presse spécialisée. De s’intéresser aussi aux réalisations des amateurs qui ne sont pas rémunérés par leurs œuvres.

Ces passionnés utilisent des logiciels d’aide à la création. «Une grande partie des utilisateurs se rassemble autour de forums en ligne et se constitue en communautés de pratique, mais aussi de goûts», explique le chercheur Pierre-Yves Hurel qui détaille 500 façons de faciliter la création. «Par exemple, nous comptons plus de 50 forums francophones actifs ou fermés prenant le logiciel RPG Maker comme objet. Les amateurs y présentent leurs créations. Cherchent à obtenir des commentaires et avis pour les aider à avancer.»

«Le jeu vidéo amateur n’est pas qu’un espace de production d’œuvres», souligne l’assistant au Département des Arts et Sciences de la Communication de l’ULiège.

«Il recouvre aussi différents espaces sociaux partagés dans lesquels les membres élaborent et discutent des critères de définition, de bon goût, d’esthétique. Plus généralement, c’est surtout le bouillonnement créatif, la cohabitation de projets formels hétérogènes et des projets personnels qui nous semblent être des marqueurs de distinction importants avec le jeu vidéo commercial.»

Le chercheur demande qu’on accompagne la reconnaissance du jeu vidéo amateur. Pour protéger les droits des créateurs. Développer une approche du jeu vidéo en tant qu’espace de démocratie culturelle.

Les joueurs partagent leurs créations

Des joueurs s’emparent de jeux vidéo pour produire des œuvres dérivées. «La conception du premier jeu vidéo résultait déjà d’un acte ludique», rappelle l’aspirante F.R.S.-FNRS Fanny Barnabé qui poursuit son doctorat à l’ULiège. «Il s’est exprimé par le détournement de l’usage conventionnel d’un super calculateur du Massachusetts Institute of Technology (MIT). C’est en effet à partir des expérimentations informatiques d’un groupe d’étudiants se faisant appeler hackers que Spacewar a vu le jour en 1962.»

Certains joueurs réutilisent des personnages, des situations. D’autres ajoutent des niveaux. Fixent des contraintes. Notamment en exploitant les bugs, ces erreurs informatiques.

Selon la chercheuse, les jeux vidéo semblent encourager une forme de réception créative. «Des joueurs peuvent aujourd’hui partager leurs créations avec un large public. S’organiser en communautés autour de sites ou forums de référence. Ou encore, échanger entre eux de bonnes pratiques et développer un discours réflexif sur leur activité.»

La course aux nouveautés

La presse jeu vidéo a besoin de la nouveauté pour intéresser ses lecteurs. La nouveauté a besoin de la presse spécialisée pour se faire connaître…

«Cet aspect promotionnel pèse lourd sur les épaules des journalistes actuels», constate le journaliste Boris Krywicki, assistant et doctorant au Département Culture, Médias et Communication de l’ULiège. «Ils doivent jongler entre passion et professionnalisme pour parler de jeu vidéo sans incarner des fans fascinés.»

«Actuellement, la diversité de la production vidéoludique est telle qu’il semble délicat pour les journalistes de se reposer sur les canons établis. Aujourd’hui, un jeu vidéo peut aussi bien frôler les 250 millions de dollars de budget qu’être façonné par un ou deux créateurs sur fonds propres. Il est impossible pour la presse jeu vidéo d’évaluer la qualité des titres contemporains sans se positionner idéologiquement par rapport à leurs modes de production.»

L’internet bouscule les médias papier, force les journalistes à se remettre en question… «La presse en ligne a, au départ, supplanté les magazines grâce à sa réactivité éditoriale. Plutôt que de s’épuiser à rattraper la course aux nouveautés, les journalistes empruntent des chemins de traverse et tentent de se placer tantôt en surplomb, tantôt de côté.»

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