Série « Lever un coin du voile sur l’histoire humaine » (3/5)
Réputée comme l’un des plus célèbres sites archéologiques du monde romain, avec plus de 34 hectares de zone fouillée, l’ancienne ville portuaire d’Ostie se trouve à l’embouchure du Tibre (ostium signifiant « bouche », en latin), à une poignée de kilomètres de Rome (Italie).
Au-delà de sa taille et de son très bon état de conservation, cette cité antique offre la possibilité d’étudier l’évolution d’une ville romaine sur une très longue période. Occupée pendant près de 1000 ans, Ostie a subi de nombreuses transformations au fil des siècles afin de survivre aux changements environnementaux, historiques, socio-économiques, politiques et culturels.
Depuis 2019, le site est fouillé par une équipe de chercheurs de l’UCLouvain et de l’UNamur. L’étude actuelle vise à comprendre de quelles manières, et avec quels objectifs, l’espace urbain s’est transformé au cours du temps.
D’une petite ville en bord de mer…
Bien que le lieu ait été découvert dès la Renaissance (15e-17e siècles), ce que nous connaissons aujourd’hui du site a surtout été mis au jour lors d’une campagne de fouilles massives ordonnée par le régime fasciste de Mussolini, qui entendait exposer les artefacts lors de l’Exposition universelle de Rome, en 1942.
« Nous disposons aujourd’hui de preuves attestant que la ville a été occupée du 4e siècle avant Jésus-Christ jusqu’au 6e siècle de notre ère. Mais le site a sans doute été fréquenté avant cette période », précise Marco Cavalieri, chercheur et professeur en archéologie romaine et antiquités italiques à l’UCLouvain, et porte-parole du projet OsTIUM.
La longévité d’Ostie est impressionnante. De simple colonie romaine, elle évolue au fil du temps en ville résidentielle. Au 1er siècle av. J-C., plusieurs maisons prestigieuses (domus) sont notamment construites.
…au principal port de l’Empire romain
En l’an 64, un nouveau port est inauguré et la ville devient la porte d’entrée de tous les biens acheminés à Rome, de même qu’un important centre administratif et résidentiel. « Sans lui, Rome n’aurait pas survécu. Les deux villes étaient fondamentalement liées, car Ostie garantissait l’approvisionnement de la capitale et protégeait la côte des envahisseurs », précise le Pr Cavalieri.
Au 2e siècle de notre ère, Ostie abrite l’un des plus grands ports du monde. Les modifications urbaines s’accélèrent rapidement, et la cité se transforme en une grande ville marchande cosmopolite, où l’on parle de nombreuses langues.
Après la chute de l’Empire romain, la ville perd toutefois de sa superbe et, passé le 6e siècle, elle est abandonnée. « Les inondations successives et l’envasement rendent la ville insalubre. Elle est alors déplacée dans ce qui est encore aujourd’hui le bourg médiéval d’Ostie, à côté du château du Pape Jules II.»
Un projet combinant archéologie, économie et architecture
Après plusieurs décennies de recherches, le site se révèle progressivement. Pour autant, de nombreuses interrogations restent sans réponse : quels ont été les acteurs derrière ces multiples transformations urbaines ? Comment celles-ci ont-elles été mises en œuvre, et dans quel but ? Comment la population s’est-elle adaptée à ces différents changements ?
Telles sont les questions auxquelles vont tenter de répondre les chercheurs du projet OsTIUM dans les cinq années à venir. Pour ce faire, le projet mise sur une approche interdisciplinaire, mêlant archéologie, urbanisme et économie.
Le volet économique consistera à étudier les dynamiques entre le développement économique et les transformations socio-démographiques notées à Ostie. Le volet urbanistique s’intéressera à l’influence de l’architecture ostienne ancienne dans l’architecture et l’urbanisme contemporains. Le volet archéologique, de son côté, analysera différents aspects des transformations architecturales et urbanistiques via plusieurs campagnes de fouilles.
Ostie, un modèle pour les villes contemporaines ?
Cet été, les archéologues vont notamment fouiller une parcelle, encore peu étudiée, en partie occupée par une ancienne domus.
« Cette maison, la Domus del Portico di Tufo, qu’on a commencé à fouiller en 2019, est la plus riche et la plus grande trouvée à ce jour. Située dans le quartier ouest de la ville, elle aurait été construite entre la fin du 1er siècle avant J-C. et le début du 1er siècle de notre ère. Or, les structures archéologiques de cette période sont encore très peu connues », souligne le chercheur. « On utilisera notamment un drone qui embarquera un laser-scanner, un outil qui permet de reproduire en 3D des espaces qui n’existent plus. »
L’idée du projet serait, à terme, d’utiliser Ostie comme modèle urbain. « Les décisions prises en matière d’urbanisme à l’Antiquité pourraient fournir des pistes pour répondre aux défis auxquels les villes d’aujourd’hui sont confrontées », conclut Marco Cavalieri.