Ragondin © Norbert Nagel — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=23360757

Les problèmes causés par le ragondin sont nés de la mode des manteaux de fourrure

18 août 2022
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 6 min

Série : Envahissant ! Vous avez dit envahissant ? (3/3)

Rongeur aquatique de grande taille, de 70 à 100 centimètres, pesant environ sept kilos, le ragondin a le corps recouvert d’une épaisse fourrure imperméable, ce qui ne l’empêche pas de craindre le froid. Doté de grandes incisives oranges, de pattes postérieures palmées et d’une queue ronde, il est originaire du sud du Chili et de l’Argentine. Apprécié pour sa fourrure et pour sa viande, voilà un siècle qu’il fut introduit en Europe. Désormais, il prolifère, particulièrement au départ de France où les entreprises de pelleterie et de chapellerie étaient légion. Herbivore, creusant de longs terriers dans les berges, il menace les habitats aquatiques d’eau douce et certaines infrastructures humaines.

Une prolificité sélectionnée et désormais problématique

Dès 1850, le ragondin est importé sur le sol européen par des membres de sociétés d’acclimatation. Il rejoint rapidement d’autres animaux exposés dans les foires. Son rôle est celui du rat maléfique, dévoreur d’enfants désobéissants.

Plus tard, à partir de 1920, et suite à des premières expériences menées dans son aire d’origine, en Amérique du Sud, des sous-espèces sont sélectionnées pour leur prolificité (2 à 3 portées par an, donnant de 5 à 7 petits, dès l’âge de 6 mois) et importées en Europe, où le ragondin est alors élevé en captivité dans un but de rentabilité. D’abord pour sa peau et ses poils, puis pour sa viande. Le commerce des peaux et fourrures est touché de plein fouet par la crise financière des années 1930, et finit par sombrer dans les années 1960. La faillite des élevages fait s’ouvrir les cages. Le ragondin est alors relâché en masse en pleine nature. Et s’acclimate à l’environnement tempéré européen.

Actuellement, le ragondin remonte de France où il est en surnombre. Il s’installe dans le sud de la Wallonie, dans les bassins versants de la Semois, de la Sambre, de la Chiers, du Viroin. « Les populations de ragondin sont en très forte expansion en Belgique. S’il n’y a pas d’étude précise concernant leur densité, l’animal est observé dans de plus en plus de localités wallonnes », précise Etienne Branquart, premier attaché au DEMNA (Département de l’Etude du Milieu Naturel et Agricole) au sein du Service Public de Wallonie (SPW).

Menace sur les milieux humides

Rongeur inféodé aux milieux humides, le ragondin est un herbivore. Doté d’un grand appétit, il consomme chaque jour des végétaux à hauteur de 25 % à 40 % de son propre poids. Cela n’a pas toujours été vu négativement. Au siècle dernier, entretenant spontanément rivières, étangs et canaux, il était vu comme un allié utile à la société.

Le regard que l’on porte sur lui en 2022 est tout autre. En surnombre, il est considéré comme un nuisible détruisant les roselières et autres végétations aquatiques des plans d’eau. Et impactant de facto négativement la faune qui y est hébergée. Comme les oiseaux qui y nichent. Mais aussi les batraciens qui voient leur habitat détruit.

« Une densité trop importante de ragondins engendre du surpâturage. Cela finit par détruire complètement le milieu aquatique, notamment des zones humides de grand intérêt.»

Un risque d’érosion et de rupture de berges

Par ailleurs, le défrichage des berges réalisé par les ragondins favorise leur érosion progressive.

A cela, s’ajoutent leurs galeries. Creusées dans les berges des étangs et des rivières, longues jusqu’à 6 mètres, dotées de plusieurs entrées, elles constituent l’abri du ragondin.

Outre le comblement subséquent des fossés et canaux, « le problème est que ces galeries fragilisent les structures. Certaines berges, peu à peu érodées, pourraient s’affaisser. D’autres, ceinturant un étang, pourraient se rompre, et vider le point d’eau. »

Ce problème se rencontre également avec le rat musqué, une autre espèce exotique envahissante. Originaire d’Amérique du Nord, ce petit rongeur fut lui aussi introduit en Europe au début du 20e siècle pour sa fourrure et comme objet de curiosité.

« Au Pays-Bas, où beaucoup des terres habitées se trouvent sous le niveau de la mer, le risque d’effondrement des berges est pris très au sérieux. Là-bas, l’équipe de piégeurs est constituée de plusieurs centaines de personnes, s’affairant sur l’énorme réseau de digues du pays. Leur objectif est d’éliminer complètement le rat musqué, soit de tuer des millions d’individus. »

Un piégeage à mettre en œuvre

En Wallonie, en l’absence de prédateur naturel du ragondin (les caïmans et jaguars de son Amérique latine d’origine ne font pas partie de la faune locale), son piégeage est en voie d’organisation. « On a réalisé des tests et mis au point des pièges spécifiques à cet animal, mais ils ne sont pas encore déployés à grande échelle. Cela se met peu à peu en place. Jusqu’à présent, la pression de piégeage n’était pas grande, mais les ragondins sont en train de s’étendre vers chez nous suite à leur énorme population du côté français. Il est temps de passer à l’action si on veut ralentir l’invasion », explique Etienne Branquart.

S’il existe des pièges létaux, à ressorts, tuant l’animal dès qu’il rentre à l’intérieur, ils ne pourront pas être utilisés dans les zones où la loutre se réinstalle ni dans celles peuplées par des castors, rongeurs protégés par la loi. « Là-bas, on doit avoir recours à un piège de capture qui nécessite la mise à mort de l’animal par une autre équipe, quant à elle, armée. Cela demande des ressources financières et humaines importantes. » Qui ne sont pas encore allouées actuellement.

Les carcasses partent en centres d’équarrissage ou sont enfouies suffisamment profondément dans le sol pour ne pas être accessibles aux animaux sauvages. Et ce, suite à la présence probable de pathogènes qui risqueraient d’être transmis au travers de la chaîne alimentaire.

Sac à pathogènes ?

En effet, le ragondin est potentiellement un réservoir de parasites et de pathogènes, dont certains transmissibles à l’Homme, comme la leptospirose. Il s’agit d’une maladie bactérienne présente dans le monde entier. Ses principaux réservoirs sont les rongeurs, en particulier les rats, qui excrètent la bactérie dans leur urine. Chez l’Homme, la maladie est souvent bénigne, mais peut conduire à l’insuffisance rénale et plus rarement à la mort.

« Une étude vient de débuter, pour une durée de deux ans, avec le laboratoire de surveillance de la faune sauvage de la Pre Annick Linden à l’ULiège, en collaboration avec notre cellule de piégeage. Son objectif est de comparer la prévalence d’agents pathogènes retrouvés chez 3 espèces de rongeurs aquatiques capturés dans les mêmes bassins versants : le rat d’égout (ou rat surmulot), le rat musqué, et le ragondin. Cela mettra en évidence de potentielles spécificités, et permettra d’évaluer si l’arrivée de ragondins est susceptible de modifier la donne locale en termes de réservoir de pathogènes », explique Etienne Branquart.

« En France et en Italie, il y a eu des pics de leptospirose en lien avec la présence de ragondin. On s’attend à ce qu’il représente un risque chez nous aussi. Notamment au niveau des zones de baignade de la Semois. » A noter que cette maladie touche particulièrement certaines professions (agriculteurs, éleveurs, égoutiers, éboueurs…) et les personnes pratiquant des loisirs nautiques, comme le kayak, la pêche, la baignade en eau douce, le canoë.

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