La Belgique existe toujours

18 septembre 2020
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
« La Belgique » par Christian Vandermotten. Collection «Que sais-je» des éditions Humensis. VP 9 euros

Pourquoi un petit pays, né d’un accident de l’histoire en 1830, proie de problèmes communautaires, existe-t-il encore en 2020? Christian Vandermotten se penche sur cette réalité dans «La Belgique» de la collection «Que sais-je» d’Humensis. Un groupe d’édition qui diffuse la parole des scientifiques.

Expert en géographie économique, politique et urbaine, et en aménagement du territoire, le professeur émérite à l’ULB détaille le fédéralisme belge. Fragile, difficile à gérer avec trois Régions: flamande, wallonne et Bruxelles-Capitale. Trois Communautés: flamande, française, dite Fédération Wallonie-Bruxelles, et germanophone. Trois Commissions communautaires en Région de Bruxelles-Capitale: française, flamande et commune pour les matières ne relevant pas exclusivement des Communautés flamande et française.

Bruxelles, pomme de discorde et de ciment

«S’il n’y avait Bruxelles, à la fois pomme de discorde et de ciment, du fait de son poids symbolique, économique et du travail que la capitale fournit aux populations des deux autres Régions, la Belgique aurait sans doute déjà disparu», juge le directeur de la Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques de l’Académie royale de
Belgique.

«Les contacts culturels sont aujourd’hui fortement réduits entre les deux grandes communautés linguistiques du pays. Les francophones connaissent mieux la politique française que celle de la Flandre, ce qui est toutefois moins vrai de celle des Pays-Bas pour les Flamands. La connaissance du français régresse parmi les jeunes Flamands, au profit de l’anglais. Celle du néerlandais est très médiocre parmi les jeunes francophones. Y compris à Bruxelles.»

Bruxelles-Capitale est officiellement bilingue français-néerlandais. Avec une surreprésentation flamande garantie au Parlement bruxellois. Plus de 90% de ses habitants utilisent le français comme langue administrative. En 1960, le mouvement flamand exige et obtient la suppression du recensement linguistique.

«Selon une enquête menée en 2018, 16% seulement de la population bruxelloise maîtrisent le néerlandais», note l’expert. «Pourcentage qui a fortement reculé parallèlement à l’internationalisation de la ville. Et 87% des habitants maîtrisent le français, 34% l’anglais, 9% l’arabe marocain, 5% l’espagnol.»

Vivre la belgitude

Francophones et Flamands ont des points communs. «Cette belgitude se caractérise par une méfiance envers l’État et l’autorité publique en général», relève le président de la Société royale belge de géographie qui édite la revue Belgeo. «Une attirance pour les attitudes pragmatiques plutôt que pour les élaborations intellectuelles. Des formes d’humour exprimant le scepticisme et l’autodérision. Une appétence pour la bonne chère. Un fort sentiment d’individualisme. Mais tempéré par un goût pour les sociétés et associations locales.»

Des historiographes ont tenté d’imposer l’idée d’une identité belge quasi immanente… «Au XIXe siècle, les contradictions spatiales et sociales nées des modalités de la révolution industrielle, axée sur le charbon wallon et délaissant la Flandre plus peuplée, alors paupérisée, ont aussi empêché la construction d’une identité nationale forte. L’exemple suisse montre pourtant qu’une telle identité est concevable même en l’absence d’unité linguistique.»

Écrivains et artistes s’engagent socialement

À la fin du XIXe siècle, la révolution industrielle et la misère de la classe ouvrière inspirent des écrivains, des artistes. Émile Verhaeren témoigne de la révolte contre l’industrie dans le poème «Les usines» du recueil «Les villes tentaculaires». Les œuvres du peintre et sculpteur Constantin Meunier dénoncent la pauvreté, le dur travail des mineurs et des métallurgistes. En peignant des personnages masqués, James Ensor souligne l’hypocrisie sociale.

La revue littéraire «Van nu en straks» joue un rôle important dans le renouveau culturel flamand. En 1893, elle a pour slogan «Nous voulons être Flamands pour devenir Européens».

«La littérature néerlandophone de la fin du XIXe siècle et du début du XXe s’inscrit dans la perspective communautaire et la volonté d’inscription du mouvement flamand dans le peuple et la paysannerie», explique le Pr Vandermotten.

«Paradoxalement, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les écrivains flamands sont davantage influencés par les courants littéraires français que leurs collègues francophones. Il convient de mentionner la place pionnière de la Belgique en matière de bande dessinée. Peut-être parce que ce genre, considéré initialement comme mineur, a pu se développer sans subir l’hégémonie parisienne.»

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