Les cinq éléments de la vie selon le prix Nobel Paul Nurse

19 mars 2024
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 4 minutes

« Biology is bloody difficult » (la biologie est diablement compliquée). « Nous devons rester humbles face à elle ». Sir Paul Nurse, généticien britannique et prix Nobel de Médecine 2001, n’a pas sa langue en poche. À l’Université Libre de Bruxelles, où il était invité à donner une leçon publique en marge du « Nobel Prize Dialogue Brussels », le scientifique a détaillé sa recette de ce qu’est, selon lui, la vie.

« Mon intérêt pour le vivant vient sans doute de l’observation d’un petit papillon quand j’étais enfant », explique celui qui découvrit les mécanismes fondamentaux du cycle de la vie cellulaire. « Sa complexité m’a fait réfléchir. Ce papillon était totalement différent de moi. Mais comme moi, il était vivant. Il pouvait bouger, réagir. Je me suis demandé : mais, finalement, c’est quoi, être vivant ? C’est quoi, la vie ? »

Cinq idées maîtresses pour décrire le vivant

« Dès le début, les organismes évoluent à partir d’une cellule, qui se divise et devient de nouvelles cellules qui se divisent à leur tour », rappelle la Fondation Nobel. « Finalement, différents types de cellules sont formés avec des rôles différents. Pour qu’un organisme fonctionne et se développe normalement, la division cellulaire doit se produire à un rythme approprié. Paul Nurse a contribué à montrer comment le cycle cellulaire est contrôlé. En étudiant la levure au milieu des années 1970, il a pu montrer qu’un gène particulier joue un rôle décisif dans plusieurs phases du cycle cellulaire. En 1987, il a identifié un gène humain correspondant. »

Au fil de ses réflexions et de ses recherches, Paul Nurse est arrivé à la conclusion que le vivant résultait d’une recette à cinq ingrédients. Cinq concepts qu’il détaille par ailleurs dans son livre (« What is life? ») et qui font de nombreuses références aux savants qui l’ont précédé.

Les cinq ingrédients de la vie ? Sa liste est finalement assez simple. Elle porte sur la cellule, le gène, l’évolution par la sélection naturelle, la chimie du vivant et, enfin, le vivant capable de stocker, gérer et utiliser l’information.

Coup d’œil dans le rétroviseur

Le biologiste plonge volontiers dans l’Histoire pour étayer son propos. Prenons l’exemple de la cellule, le premier concept intimement lié à la vie dans son analyse. « C’est l’atome de la biologie! », lance-t-il. « L’unité de base de tous les organismes vivants, mais aussi l’unité fonctionnelle de base de la vie. Tout ce qui vit sur la Terre est constitué d’une cellule ou d’un ensemble de cellules. »

« Cette idée de cellule remonte à 1665 avec le chercheur anglais Robert Hooke. Grâce à un des premiers microscopes, il découvre dans une fine tranche de liège des rangées de cavités délimitées par des parois. Une sorte de nid d’abeille microscopique. Il les baptisa cellules, du latin cella qui signifie « petite chambre », en référence aux cellules d’un monastère », rapporte-t-il.

Peu après, il cite l’exemple du Hollandais Van Leeuwenhoek. Celui-ci découvrit, toujours au microscope, ce qu’il appela des animalcules. « Ce bestiaire le surprit. Il avait observé des organismes unicellulaires, prélevés dans sa propre plaque dentaire. Un choc pour le savant, qui se mettait un point d’honneur à observer une hygiène stricte. En réalité, il observait pour la première fois des bactéries.»

Il est, ensuite, devenu clair que la vie est basée sur la cellule ou un ensemble de cellules. Que ces cellules sont fonctionnelles, comme le montra le chercheur allemand Theodore Schwann. Formé à l’hôpital de la Charité à Berlin, il occupa ensuite des postes académiques à l’Université de Louvain et de Liège.

« Schwann montra que les cellules sont des entités physiques délimitées dans leur forme par une membrane semi-perméable lipidique », dit Paul Nurse. Le biologiste est ébloui par les apports de ces savants à la compréhension de ce qu’est la vie. Il en pointe aussi les limites. Comment cette vie se reproduit-elle ? Et là, il embraye avec la découverte de la division cellulaire, celle des chromosomes porteurs de l’hérédité, la théorie de l’évolution (Mendel et ses petits pois, mais aussi Darwin, bien sûr), la biologie moléculaire, la chimie du vivant, pour clôturer avec la nécessaire communication, la transmission d’informations inhérente au vivant.

Gestion de l’information

« La vie est un objet dynamique », dit-il. « Un ensemble où tout est compartimenté. Cette compartimentation implique que toutes les unités travaillent ensemble, comme un système unique. Ce qui implique une bonne communication, une gestion efficace des flux d’information. La vie, c’est de l’information maîtrisée. « Au 18e siècle, bien avant les ordinateurs, Emmanuel Kant évoquait déjà cette notion de la gestion de l’information, dans des systèmes », pointe Paul Nurse. « Dans le vivant, cette information est stockée, transmise. Quand les systèmes deviennent instables, elle évolue. Tout cela transforme l’information en actions. »

La vie, est-elle unique ? « Aujourd’hui, il est clair que la vie telle que nous la connaissons résulte d’une origine unique et fonctionne sur une chimie bien délimitée. Dans son arbre du vivant, Darwin indique plusieurs lettres du côté des racines. Il n’est pas sûr que la vie n’est pas née de diverses manières. Mon point de vue est que c’est sans doute le cas, même si aujourd’hui le vivant descend d’une même origine. »

« L’origine de la cellule remonte à 4,4 milliards d’années. Mais il a fallu plus de deux milliards d’années complémentaires pour qu’un être multicellulaire se développe », rappelle encore le biologiste, avant de conclure. « Nous sommes actuellement l’aboutissement le plus évolué de cette évolution. Cela confère une responsabilité particulière aux humains, pour toutes les autres formes de vie sur Terre. On doit la protéger. Pour cela, il faut la comprendre. »

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