Il y a deux ans, le monde découvrait pour la première fois l’image directe d’un trou noir et de son environnement, celui situé au centre de la galaxie Messier 87. Ce cliché avait été capturé par les scientifiques du projet « Event Horizon Telescope » (EHT) qui ont, depuis, poursuivi leurs travaux. Une nouvelle photo du trou noir vient d’être présentée, mettant cette fois-ci en lumière les lignes de champ magnétique bordant son pourtour.
Le but ? Découvrir comment ce champ magnétique aide le trou noir à avaler la matière à proximité, et déterminer son rôle dans l’émission des puissants jets de matière et d’énergie, un phénomène encore peu compris.
Vie et mort d’une étoile
Pour mieux appréhender ces questionnements, rappelons qu’un trou noir provient, le plus souvent, de l’effondrement d’une étoile. Lorsque la réserve d’hydrogène d’une étoile est épuisée, son noyau s’effondre sous l’effet de sa propre gravité. Trois scénarios sont alors possibles : soit le noyau devient une naine blanche, soit une étoile à neutrons, soit un trou noir. Cela dépend de la masse de l’étoile à la fin de sa vie.
« C’est Subrahmanyan Chandrasekhar qui propose, en 1932, cette idée de naine blanche » rappelle Francesco Lo Bue, physicien à l’UMons, lors de la conférence « Lumière sur les trous noirs », organisée par le MUMONS. « Selon ses calculs, si l’étoile en fin de vie ne dépasse pas 1,4 fois la masse de notre Soleil, l’effondrement de l’étoile finit par se stabiliser. Le noyau devient alors un objet très petit et très chaud, donc très lumineux. D’où le nom de naine blanche. »
Au-delà de cette masse, la mort de l’étoile est plus brutale. Son enveloppe explose violemment, et l’astre brille temporairement d’un éclat très intense. On parle de supernova. « Dans les années 30, les astronomes Walter Baade et Fritz Zwicky émettent l’hypothèse que l’effondrement d’une supernova est si violent, que la matière devient tellement compacte, qu’elle se transforme pour donner un noyau composé de neutrons, mille fois plus dense qu’une naine blanche », précise le physicien.
Une idée attestée en 1939 par le physicien Robert Oppenheimer, qui va même plus loin. Selon lui, une étoile en fin de vie ayant une masse supérieure à 3 fois la masse solaire s’effondrerait…à l’infini ! Une théorie qui ne fait pas consensus chez les scientifiques de l’époque. Il faut attendre la fin des années 50 pour qu’il soit admis que, au-delà de 3 masses solaires, plus rien n’arrête l’effondrement d’une étoile. On arrive au stade du trou noir.
Précisons que celui étudié au cœur la galaxie M87 est un trou noir dit « supermassif ». Avec une masse estimée à 6,5 milliards de fois celle de notre Soleil, cet objet cosmique ne peut pas résulter de l’effondrement d’une étoile. L’origine des trous noirs géants de ce type est toujours discutée. Leur structure reste néanmoins similaire à celle des trous noirs « classiques ».
Anatomie d’un trou noir
Le point central d’un trou noir, appelé la singularité, devient donc (dans les limites des connaissances actuelles) de densité infinie. Son champ de gravité est si puissant qu’il aspire toute matière à proximité, y compris la lumière. « Autour de ce point central, se trouve “l’horizon des événements”. Une fois qu’une information pénètre cette zone, elle ne peut plus en sortir. C’est un broyeur à information », indique Francesco Lo Bue.
Cette matière, avant d’être avalée, se déplace en orbite autour du trou noir, créant un disque de gaz et de poussières : le disque d’accrétion. « La matière y tourne très vite et peut atteindre des centaines de milliers degrés. Au point que le disque d’accrétion émet des rayonnements électromagnétiques, comme des rayons X. » L’une des méthodes pour détecter ces objets invisibles consiste ainsi à déceler dans l’espace une source de rayons X très intense. C’est notamment de cette manière que le premier trou noir, Cygnus X1, a été repéré dans les années 70.
Notons que si la plupart de la matière environnante est aspirée sous l’effet de la gravité du trou noir, certaines particules sont aussi expulsées très loin dans l’espace, sous forme de jets de matières et d’énergie. Dans le cas du trou noir de la galaxie M87, les jets émis s’étendent sur plus de 5000 années-lumière.
Plongée dans le champ magnétique du trou noir M87
La nature et le fonctionnement de ces jets dit « relativistes » font toujours l’objet de débats parmi les scientifiques. Mieux saisir ce phénomène était ainsi l’un des objectifs de la nouvelle photo prise par les scientifiques du projet EHT.
Plongée au cœur de la galaxie Messier 87 :
Avec cette nouvelle image, vue en lumière polarisée, les astronomes ont été capables de mesurer la polarisation, c’est-à-dire la signature du champ magnétique, autour du trou noir. « Ce travail est une étape majeure : la polarisation de la lumière contient des informations qui nous permettent de mieux comprendre la physique derrière l’image que nous avons vue en avril 2019, ce qui n’était pas possible auparavant », explique, dans un communiqué, Iván Martí-Vidal, chercheur émérite à l’Université de Valence (Espagne), et coordinateur du Groupe de travail sur la polarimétrie de l’EHT.
En étudiant la région où interagissent la matière entrante et la matière éjectée, les chercheurs espèrent déterminer la manière dont le trou noir est capable de projeter des jets qui s’étendent bien au-delà de la galaxie. Leurs observations suggèrent ainsi que « les champs magnétiques présents sur le pourtour du trou noir sont suffisamment puissants pour repousser le gaz de température élevée et l’aider à résister à l’attraction gravitationnelle du trou noir. Seul le gaz qui traverse le champ peut tourbillonner vers l’intérieur, jusqu’à l’horizon des événements », indique Jason Dexter, professeur adjoint à l’Université Boulder du Colorado (USA), et coordinateur du Groupe de Travail sur la Théorie à l’EHT.
Vraisemblablement, les prochaines observations de l’EHT offriront des données encore plus précises, apportant d’autres éléments de réponses concernant le champ magnétique du trou noir étudié, et les processus physiques à l’œuvre dans cette région.