Recherche scientifique: l’appel du large toujours plus pressant

19 septembre 2016
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 9 minutes

Série (1) / « Cerveaux baladeurs »

 

Programme Erasmus, actions Marie Curie, Chargés de Recherche, Euraxess, WBI.World, BEWARE… Ces programmes européens et belges qui facilitent la mobilité internationale des chercheurs sont sur toutes les lèvres. Et leur diversité donne déjà une certaine idée de l’ampleur du phénomène! Aucune strate universitaire n’est épargnée. Des étudiants bacheliers jusqu’au post-doctorat, il est de bon ton d’aller voir, pendant quelques mois ou quelques années, comment la recherche scientifique se déroule en dehors de nos frontières.

 

Aujourd’hui, pour mettre toutes les chances de son côté, un chercheur doit être mobile. « C’est à dire réaliser une partie de sa formation dans une autre université que celle où il mène ses études initiales », souligne Véronique Halloin, Secrétaire générale du Fonds de la Recherche scientifique (F.R.S-FNRS), principale agence de financement de la recherche fondamentale en Belgique francophone.

 

Excellence et carrière académique

 

Cette mobilité est plus qu’encouragée par les pouvoirs politiques, qu’ils soient européens (Commission), nationaux ou régionaux.

 

« Une recherche de qualité ne se fait pas de manière isolée », rappelle Jean-Claude Marcourt. Ministre (PS) de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de la Fédération Wallonie-Bruxelles. « Elle nécessite l’implication de plusieurs équipes et bien souvent de plusieurs disciplines. La mobilité internationale des chercheurs permet dans ce cadre de créer de nouvelles synergies et de conduire à des collaborations internationales ».

 

Le Pr Halloin précise: « Pour celui ou celle qui aspire à une recherche d’excellence et à une carrière académique, la mobilité est indispensable. Elle permet de se perfectionner, de se confronter à d’autres logiques de recherches, d’autres cultures scientifiques. Autant de points bénéfiques ».

 

« Mais attention », prévient-elle aussi. « La mobilité ne doit pas nécessairement être synonyme de séjour au bout du monde. Le choc des cultures, le perfectionnement que cette mobilité permet peut avoir lieu dans une périmètre géographique proche ».

 

Etats-Unis, France, Grande-Bretagne : tiercé de tête



Quand on regarde les destinations privilégiées par les chercheurs de la FWB qui ont bénéficié de l’une ou l’autre des bourses du F.R.S.-FNRS destinées à couvrir les frais de courts séjours scientifiques à l’étranger, quelques pays arrivent cependant en tête du classement. Les Etats-Unis occupent la première marche du podium. Ils sont suivis de près par la France, la Grande-Bretagne, le Canada et l’Italie.

 

Financement par le F.R.S.-FNRS de brefs séjours scientifiques à l'étranger. L'intensité de la coloration est proportionnelle au nombre de financements octroyés.
Financement par le F.R.S.-FNRS de brefs séjours scientifiques à l’étranger. L’intensité de la coloration est proportionnelle au nombre de financements octroyés.

 

En matière de cursus universitaire, on serait tenté de dire que la mobilité commence au berceau. Un chiffre, provenant de l’Université Catholique de Louvain (UCL), fixe les idées.

 

« En 2014-2015, 28% des diplômés UCL ont fait un séjour de mobilité dans le cadre de leur cursus UCL », indique Sara Wilmet, du Point de contact « EURAXESS Researchers in Motion », qui relève de l’Administration de la Recherche de l’université.

 

Cette tendance à l’internationalisation se lit aussi dans les origines du personnel académique. « Aujourd’hui, le personnel scientifique de l’UCL est composé à 40% d’internationaux.  Parmi les doctorants, cette proportion est de près d’un sur deux », précise Madame Wilmet.

 

En Fédération Wallonie-Bruxelles, le Ministre Marcourt avance encore d’autres chiffres:

 

  • – « Nos établissements d’enseignement supérieur totalisent environ 20 % d’étudiants étrangers », indique-t-il.
  • – « Plus de 40 % de doctorants étrangers sont présents chez nous ».
  • – « Près de 60 % des publications scientifiques sont cosignées avec des auteurs étrangers ».

 

Mobilité sortante, mais également mobilité entrante

 

Les autorités politiques mettent les petits plats dans les grands pour faciliter cette mobilité sortante comme « entrante ».

 

Au F.R.S-FNRS, les bourses de Chargé de Recherche, qui financent des post-doctorats, attirent chaque année de plus en plus de candidats internationaux. 60% des candidatures à de telles bourses (on parle de « mandats », dans le jargon), émanaient de candidats étrangers en 2015. Cinq ans plus tôt, ils ne représentaient que 40% des candidatures.

 

L’évolution de la situation économique dans certains pays du sud de l’Europe expliquerait cette augmentation. De plus en plus de candidats originaires d’Italie et d’Espagne sollicitent de telles bourses, constate-t-on au FNRS. A noter encore: les taux de succès des candidats aux bourses « Chargé de recherche » sont comparables, que les candidats soient de nationalité belge ou étrangère.

 

Si l’objectif n’est pas, ici, de livrer un relevé exhaustif des instruments facilitant la mobilité internationale des chercheurs, il est cependant à noter qu’au niveau régional comme à celui de la Fédération Wallonie-Bruxelles, la mobilité internationale est également encouragée. Et parfois de manière bien plus subtile et stratégique que le « simple » octroi de bourses.

 

Les Bourses d’excellence de Wallonie-Bruxelles International

 

Wallonie-Bruxelles International (WBI), l’agence chargée des relations internationales pour la Wallonie et pour Bruxelles, dispose elle aussi d’instruments favorisant la mobilité des chercheurs. Avec comme outil phare ses « Bourses d’excellence ».

 

« Elles sont de deux sortes », explique Laurie Delcourte, en charge de la gestion de ces bourses au sein de WBI. « Soit elles favorisent la formation doctorale ou postdoctorale à l’étranger, et on parle alors de bourses d’excellence « WBI.WORLD », soit elles s’adressent à des chercheurs étrangers qui souhaitent mener une recherche postdoctorale dans une université de la Fédération Wallonie-Bruxelles (bourses IN WBI) ».

 

Ces bourses concernent en priorité quelques domaines spécifiques. Ils correspondent aux domaines des Pôles de compétitivité (secteur d’activité économique) du Plan Marshall 2.Vert: le transport et la logistique, le génie mécanique, les sciences du vivant, l’agro-industrie, l’aéronautique et le spatial, les technologies environnementales. Pas étonnant dès lors de voir dans ce contexte que le gros de ces bourses touche aux sciences appliquées (14 bourses sur 29 en 2015)

 

En 2015, la répartition des lauréats de ces bourses par université s’établissait comme suit:

 

Bourses « IN WBI » (accueil de chercheurs étrangers en FWB)

 

  • UCL : 8/29 – soit 27 %
  • ULB : 5/29 – soit 17 %
  • ULG : 14/29 – soit 48 %
  • UMONS : 2/29 – soit 6 %

 

Bourses WBI.World (envoi de chercheurs issus de la FWB à l’étranger)

 

  • UCL : 8/31 – soit 26 %
  • ULB : 10/31 – soit 32 %
  • ULG : 11/31 – soit 35 %
  • UMONS : 1/31 – soit 3 %
  • UNAMUR : 1/31 – soit 3 %

 

WBI ?

 

Wallonie-Bruxelles International (WBI) est l’agence chargée des relations internationales Wallonie-Bruxelles. Elle est l’instrument de la politique internationale menée par la Wallonie, la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Commission communautaire française de la Région de Bruxelles-Capitale.

 

WBI a noué des accords avec 70 pays et régions dans le monde. Cette agence est notamment active en ce qui concerne l’enseignement supérieur et la Recherche.

 

Six agents de liaison scientifique

 

Depuis six ans, outre son réseau de Délégués répartis dans le monde, WBI dispose aussi d’Agents de liaison scientifiques (ALS). Leur spécificité? « Ils œuvrent à la promotion de la recherche et des échanges de scientifiques entre la Wallonie et Bruxelles, et le pays partenaire », explique Hubert Goffinet, responsable du Service Recherche et Innovation, chez WBI.

 

« Leur champs d’action touche notamment à la veille scientifique, mais ils sont aussi chargés de promouvoir et de faciliter les collaborations, d’identifier des partenaires potentiels en matière de recherche et d’innovation en vue de créer des partenariats scientifiques et technologiques ».

 

Cette fonction « d’ambassadeur de la recherche » est récente au sein de WBI. Le premier agent de liaison scientifique (ALS) n’a pris son poste qu’en 2010 en Suède. Depuis, cinq autres ALS ont pris leurs fonctions au Brésil, aux Etats-Unis, en Allemagne, en Suisse et au Canada (Montréal).

 

A Montréal, précisément, ce poste, situé, comme pour la plupart des autres ALS, au sein d’une institution universitaire, a été occupé par M. Motonobu Kasijima jusqu’au 31 août dernier.

 

Quelle est l’utilité de cette fonction? Quels types de résultats concrets permet-elle d’atteindre? Voici son témoignage en images.

L’Union européenne comme moteur

 

Mais d’où vient l’engouement actuel pour la mobilité toujours plus grande de la matière grise?  « La mobilité internationale a toujours existé dans les universités mais il est vrai que différents facteurs plus récents l’ont rendue indispensable pour la recherche scientifique », analyse encore le ministre de la Recherche, Jean-Claude Marcourt. « Je pense évidemment aux progrès considérables que nous avons connus dans le développement des technologies de l’information et de communication. Les nouveaux outils numériques ont augmenté et facilité les échanges entre chercheurs et ont ainsi contribué à l’émergence de nouvelles collaborations ».

 

L’Union européenne également a joué un rôle déterminant dans cette mobilité. « Le processus de Bologne, la création d’un espace européen de la recherche et la mise en place de programmes européens comme Erasmus ou Marie Curie ont également fortement facilité la mobilité des chercheurs », constate le ministre belge.

 

Et il pointe volontiers l’initiative EURAXESS. « A travers EURAXESS, la Commission européenne est le moteur de la mobilité. Elle a défini un cadre, des règles de bonne conduite, un code de recrutement, un portail d’annonces, etc. pour augmenter et surtout faciliter la mobilité des chercheurs. Le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles soutient activement et financièrement les initiatives d’EURAXESS”.

 

Euraxess

 

Parmi les différentes mesures concrètes mises en place par l’Union européenne, épinglons “EURAXESS Services”. C’est un réseau d’accompagnement des chercheurs qui leur apporte à eux, mais aussi à leur famille, des informations précieuses et une assistance personnalisée afin de les accueillir au mieux dans leur nouveau pays, faciliter leurs démarches administratives pour l’obtention d’un visa, la recherche d’un logement, ou pour des questions liées à la fiscalité.

 

Le réseau EURAXESS Belgium regroupe ainsi une vingtaine de Centres de mobilité et points d’information locaux actifs au sein des universités et des instituts de recherche belges. EURAXESS, c’est aussi un portail d’informations, “EURAXESS Jobs”, qui rassemble les offres d’emploi disponibles.

 

Certaines de nos universités imposent d’ailleurs maintenant la publication sur ce portail de toutes leurs vacances d’emploi. Enfin, à travers “EURAXESS Rights“, il existe une Charte du chercheur et un code de conduite pour le recrutement de chercheurs qui permet une égalité de traitement pour tous les chercheurs en Europe et renforce la transparence du processus de recrutement.

 

La mobilité internationale est quasi incontournable dans la carrière du chercheur. Les enjeux professionnels sont au cœur de cette démarche. Mais cette mobilité a également des implications directes pour les institutions d’origine et d’accueil de ces chercheurs. C’est ce qu’examinera le second volet de cette enquête.

 

(Ce dossier sur la mobilité des chercheurs a reçu le soutien du Fonds pour le journalisme de la FWB).

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