Au XVe siècle, l’approvisionnement est plus problématique dans les grandes villes des Pays-Bas méridionaux que dans le reste de l’Europe. Deux grandes crises alimentaires frappent les 15 à 20.000 habitants de Lille. Les 10 à 14.000 personnes qui vivent à Mons.
Aux éditions de l’Académie royale de Belgique, dans «Pour la neccessitet du povre peuple», Nicolas Barla examine le rôle des autorités urbaines pendant les crises alimentaires de la fin du Moyen Âge. L’historien s’appuie sur des recherches réalisées pour sa thèse de doctorat à l’Université libre de Bruxelles (ULB). Financées par le Fonds national de la recherche scientifique (FRS-FNRS).
Dans les archives lilloises et montoises
«Les villes de Lille et de Mons ont été choisies pour l’abondance de leurs fonds d’archives», explique le docteur en histoire et archéologie. «En période de stabilité, toutes deux jouissent d’une importante marge d’autosuffisance. Quoique moins prononcée à Lille qu’à Mons.»
«À Lille, la majeure partie du bétail provient des campagnes picardes, artésiennes, normandes et flamandes. Le commerce du poisson de mer, alimenté par la pêche flamande, est particulièrement développé. Mons dépend du commerce extérieur. Du beurre, des fromages et d’autres produits sont systématiquement importés de Flandre vers la foire de Mons.»
Le commerce des boissons, des vins et des cervoises constitue l’une des principales préoccupations des autorités des deux villes: il engendre d’importantes recettes fiscales.
La première famine
L’approvisionnement malaisé provoque la crise alimentaire de 1431 à 1433. Anticipant la cherté, Gand, puis l’ensemble de la Flandre, interdisent les exportations. Un climat d’inquiétude s’installe.
De 1437 à 1439, l’une des plus fortes hausses des prix du siècle s’observe dans les Pays-Bas méridionaux. La première véritable famine, d’ampleur quasi européenne, s’installe. «Elle s’insère dans un contexte climatique particulièrement difficile», note le chercheur. «La décennie 1430-1440 est la plus froide du XVe siècle. Mais c’est également la décennie marquée par les fluctuations saisonnières les plus fortes en températures intra-annuelles.»
La dégradation de la situation alimentaire est perçue comme un manque de dévotion. Les autorités urbaines ajustent les tarifs du pain. Réduisent la fiscalité sur la vente du grain. Revendent des stocks de grain à un prix inférieur au cours du marché. Mais, le «povre peuple» n’en bénéficie pas.
Des stratégies d’adaptation
«En marge des interventions publiques, des institutions d’assistance et des réseaux de solidarité existe un dernier moyen, pour la population, d’assurer sa subsistance en temps de crise», raconte l’historien. «Le déploiement de stratégies individuelles permettant de compenser la faillite des mécanismes d’approvisionnement dont ils dépendent habituellement. Ces « coping strategies », stratégies d’adaptation, sont aujourd’hui reconnues comme l’un des mécanismes fondamentaux du maintien de la sécurité alimentaire des populations. En temps de crise comme en période de stabilité économique. La question reste encore largement inexplorée dans le champ de l’histoire médiévale.»
Pour répondre à la crise, la population se rationne. Modifie son régime alimentaire. Réduit les dépenses secondaires. Diminue le nombre de bouches à nourrir en abandonnant des enfants.
Les vols de nourriture se multiplient. Le marché noir permet de contourner la marge fiscale imposée sur le commerce céréalier. L’achat collectif de grain en gros s’organise pour partager les frais de transport. Le grain s’achète à crédit. Des biens sont vendus, mis en gage. Des mécanismes qui précarisent. Enrichissent les marchands et les prêteurs.
Une capacité de résilience limitée
Pour contrer la faillite de la production et la difficulté de s’approvisionner, des agriculteurs récoltent les céréales avant leur pleine maturation. Des pauvres et des enfants ramassent les grains tombés sur le sol du marché. Des miséreux consomment des racines, des rats, des chats, des chiens. Des récits historiographiques mentionnent quelques cas de cannibalisme.
«La population, rurale comme urbaine, dispose d’une certaine capacité de résilience autonome face à la crise», souligne Nicolas Barla. «Force est néanmoins de constater que plusieurs dynamiques sociétales limitent la marge d’action individuelle face à la crise. D’une part, l’accès aux espaces incultes et aux ressources compensatoires qu’ils offrent diminue au cours du Moyen Âge. Et les citadins, qui en sont de plus en plus éloignés, perdent les connaissances techniques nécessaires à son exploitation. D’autre part, l’urbanisation croissante exacerbe la concentration démographique. Et le taux d’inégalités sociales.»