Situé au carrefour de plusieurs lignes de transport maritime, le Qatar est particulièrement exposé aux risques de pollution pétrolière. De quoi compromettre à la fois sa production d’eau dessalée et un cinquième de l’approvisionnement mondial en gaz naturel liquéfié (GNL). En combinant des simulations de transport de pétrole avec des données sur le trafic maritime, l’équipe du Pr Emmanuel Hanert, professeur en modélisation environnementale à l’UCLouvain, a identifié deux zones à haut risque, représentant environ 15 % de la zone économique exclusive maritime du Qatar.
Dessalement à tour de bras
Premier producteur et exportateur mondial de gaz naturel liquéfié (GNL), le Qatar est l’un des plus riches pays au monde.
« Les revenus des exportations d’hydrocarbures ont permis au Qatar d’investir massivement dans des usines de dessalement de l’eau de mer (processus extrêmement cher et polluant, NDLR) afin de préserver sa population de graves pénuries d’eau. Ainsi, l’eau potable du Qatar provient aujourd’hui presque exclusivement du dessalement, lequel a été multiplié par cinq entre 2003 et 2018. Les capacités de dessalement sont principalement situées dans trois zones industrielles le long de la côte orientale : Ras Laffan qui produit 30 % de l’eau dessalée, Ras Abu Fontas (33%) et Umm Al Houl (37%)», précise Pr Hanert.
Du gaz à gogo
La majeure partie de la production qatarie de gaz est liquéfiée et exportée depuis le port industriel de Ras Laffan, situé le long de la côte nord-est.
« Actuellement, le gaz naturel représente environ un quart du mix énergétique mondial. La demande de gaz naturel devrait continuer à croître jusqu’au milieu des années 2030. Et ce, car il produit moins d’émissions de CO2 que le pétrole et le charbon. Il est donc considéré comme une option plus écologique parmi les combustibles fossiles dans la transition vers des émissions nettes nulles d’ici 2050. » Par ailleurs, pour se désengager du gaz russe, l’Europe envisage d’importer davantage de gaz naturel liquéfié du Qatar.
« Or, contrairement à l’Australie et les Etas-Unis, les deux autres grands exportateurs de GNL, lesquels disposent de plusieurs installations de liquéfaction du gaz réparties le long de leurs longues côtes, la majeure partie de la production de GNL du Qatar est concentrée dans le port industriel de Ras Laffan, dont l’entrée pour les pétroliers fait moins de 2 km de large. »
Pollution extrême aux hydrocarbures
Cette configuration particulière pourrait nuire à l’exportation du précieux gaz vers l’Europe. Et ce, en raison de barrages flottants, et autres mesures de confinements des hydrocarbures, mis en place pour lutter contre les régulières marées noires, empêchant les navires transportant le gaz de quitter le port.
Le risque est loin d’être nul. Avec environ la moitié des réserves mondiales de pétrole, avec quelque 20.000 à 30.000 mouvements de pétroliers par an, l’eau de mer du Golfe (Koweït, l’Irak, Bahreïn, Oman, Qatar, Arabie saoudite et Émirats arabes unis) est 47 fois plus polluée par le pétrole que le niveau de pollution moyen dans le monde.
En moyenne, 100.000 à 160.000 tonnes de pétrole et de ses produits dérivés y sont rejetées chaque année accidentellement (sabotages ou d’accidents) ou intentionnellement (lavages de citernes, rejets d’eaux de ballast et rejets de déchets de navires contenant des produits pétroliers).
Ras Laffan, un terminal gazier très vulnérable
« Au Qatar, ces perturbations sont aggravées dans les eaux peu profondes où les courants de circulation sont plus rapides et où la navigation se fait par d’étroits canaux maritimes dragués. Pour atténuer cette vulnérabilité alarmante, la détection précoce de la pollution marine est cruciale pour la contenir et la disperser avant qu’elle ne puisse atteindre les infrastructures côtières vitales », note Emmanuel Hanert, professeur de modélisation environnementale.
Il a usé de modèles pour identifier les zones les plus à risque de marées noires. « Nous avons simulé la dispersion des marées noires sur cinq années consécutives (de 2016 à 2020) afin de fournir des estimations mensuelles robustes des risques de marées noires. En les combinant avec la densité du trafic maritime, nous avons identifié deux zones à haut risque, soit des zones correspondant à une forte densité de trafic et à une forte probabilité qu’une marée noire atteigne un port d’exportation de gaz ou une usine de dessalement. Ces deux zones critiques couvrent 5.000 km2 représentent environ 15 % de la zone économique exclusive maritime du Qatar. »
« Les risques sont directement liés aux circulations atmosphériques et océaniques, qui ont une saisonnalité bien définie. Le terminal GNL de Ras Laffan et ses usines de dessalement sont davantage menacés en été et en hiver. Au printemps et en automne, les schémas de risque ont tendance à se déplacer vers l’est, ce qui augmente le risque pour Abu Fontas et Umm al Houl, et le réduit légèrement pour Ras Laffan. »
Au final, les scientifiques montrent que le terminal de gaz naturel liquéfié de Ras Laffan, exportant plus de 20 % du GNL consommé dans le monde, est le plus vulnérable aux déversements d’hydrocarbures tout au long de l’année.
Détection précoce de marée noire
En outre, la zone à risque offshore de Ras Laffan chevauche plusieurs grandes routes maritimes où opèrent certains des plus grands pétroliers, méthaniers et cargos du monde. « Tout déversement important de pétrole le long des routes maritimes vers l’Iran et le Bahreïn pourrait impacter le fonctionnement des installations de dessalement et d’exportation de GNL de Ras Laffan en deux à trois jours. »
Face à ces résultats, « nous suggérons que les zones maritimes à haut risque soient étroitement surveillées en combinant de multiples ressources de surveillance aérienne et satellitaire. Et ce, afin de fournir des fréquences d’acquisition élevées (toutes les 12 à 24 h) qui sont nécessaires pour détecter rapidement les déversements d’hydrocarbures susceptibles de perturber gravement les exportations de gaz naturel liquéfié du Qatar, facteur d’aggravation de la crise mondiale du gaz », conclut Pr Hanert.