Détail du dessin La Crucifixion © Musée Wittert

Le « Wittert project » explore une des plus discrètes richesses de l’ULiège

20 février 2023
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 4 minutes

Une gravure d’Albrecht Dürer? De Rembrandt? L’illustration en tête de cet article est en réalité un dessin à la plume et à l’encre de Dirk Crabeth (1510-1574), intitulé « La Crucifixion ». Cette œuvre fait partie des richesses du Musée universitaire Wittert. Elle a été identifiée au terme d’un long travail de recherche.

« Oui, il existe une recherche de pointe en histoire de l’art qui se concentre sur les dessins et les gravures produites du 15e au 18e siècles », indique la professeure Dominique Allart. « C’est le cœur du « Wittert project », financé par l’université et le musée».

Ce projet s’intéresse à une des collections de l’université parmi les moins étudiées à ce jour. Il s’agit d’une collection léguée en 1903 par le baron Adrien Wittert, un Liégeois installé à Bruxelles. L’homme était un fervent collectionneur d’œuvres d’art.

« La collection léguée à l’université est riche », précise la Pre Allart. « Elle comprend quelque 25.000 dessins et gravures anciennes, dont la grande majorité demande encore à être inventoriée et étudiée. »

Comme des enquêtes policières

Bien souvent, ces recherches prennent l’aspect de véritables enquêtes policières. Pour déterminer l’origine d’une pièce, son authenticité, mais aussi pouvoir l’attribuer à l’un ou l’autre artiste, de nombreuses démarches sont à entreprendre.

La spécialiste s’intéresse à la technique de l’artiste, à son style, au papier utilisé: est-il ancien ou non, quelle est sa texture, dispose-t-il d’un filigrane? « Voilà quelques-unes des recherches que nous réalisons pour remonter la piste », explique Dominique Allart.

« Si l’œuvre est signée, nous essayons de déterminer si celle-ci est autographe ou apocryphe. Est-ce l’artiste qui a signé ce dessin ou quelqu’un d’autre qui y a apposé son nom? Quand une piste se précise, nous comparons alors l’œuvre avec d’autres, déjà expertisées, qu’elles soient issues de notre collection ou de collections situées à l’étranger. L’étude d’une nouvelle pièce est à chaque fois une nouvelle aventure qui démarre. »

Nouvel éclairage artistique

Le travail des experts en la matière est parfois couronné de succès. Plusieurs dessins provenant d’un même carnet peuvent alors être mis en relation. Ce sont de vrais carnets de croquis, reprenant des esquisses, destinées ensuite à la réalisation d’une tapisserie ou d’un vitrail qui reprennent vie et éclairent sous un jour nouveau le travail des artistes de l’époque.

« La Crucifixion » de Dirk Crabeth en apporte un bel exemple. « Il s’agit de l’une des pièces exceptionnelles que conserve le Musée Wittert », indique Dominique Allart. « Ce grand dessin d’un haut niveau de qualité est attribué au célèbre peintre verrier néerlandais. On peut y reconnaître un projet préparatoire à une verrière monumentale située dans un église. Ce type de dessin appelé vidimus servait de support visuel de communication entre l’artiste et le commanditaire. Moyennant l’accord de dernier, la composition allait ensuite être reproduite à échelle réelle, afin de guider le travail des verriers. »

Des œuvres théoriquement éphémères

«  Rares sont les témoignages de ce type à nous être parvenus » continue la Pre Allart. « Car ils n’étaient pas, par nature, destinés à la pérennité. Ils sont d’autant plus précieux qu’ils nous introduisent dans l’intimité des ateliers d’artistes : ils permettent de comprendre les étapes du processus créatif d’un vitrail en tenant compte des différents acteurs qu’il engageait : commanditaire (qui finançait l’entreprise), concepteur (qui dessinait le modèle : ici, Crabeth), exécutants (verriers qui réalisaient le vitrail). »

Un cycle de conférences pour apprendre à déchiffrer une œuvre

Afin de partager ses connaissances et de développer la visibilité de la recherche menée sur les trésors du legs Wittert, la Pre Allart organise actuellement le cycle de conférence: « Gravures anciennes : enquêtes de sens ».

Ce cycle est ouvert à tous et permet de s’initier à l’expertise de gravures anciennes aux côtés d’étudiants et de jeunes diplômés en Histoire de l’Art et Archéologie. L’artiste étudié dans le cadre de ce cycle s’appelle Cornelis Cort, un graveur mythique du XVIe siècle. D’origine hollandaise, il travailla d’abord à Anvers, l’un des principaux centres de production d’estampes en Europe à cette époque. Ensuite, il prit la route pour l’Italie. Fort des recommandations d’un fin connaisseur en matière artistique, Dominique Lampson, le secrétaire du prince-évêque de Liège, Cort devint le graveur attitré de Titien et fit une carrière brillante en reproduisant en gravure les chefs-d’œuvre de la Renaissance italienne.

Ce cycle devrait également constituer une belle mise en bouche pour les amateurs d’expositions. La prochaine exposition du « Wittert project », précisément consacrée à Cornelis Cort, est programmée au printemps 2024.

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