Quand les fermiers réinventent leur métier

20 octobre 2020
par Camille Stassart
Durée de lecture : 5 min

Impacts environnementaux, gaspillage, surexploitation animale, qualité alimentaire diminuée… Les écueils de l’élevage intensif et spécialisé (élevage d’une seule espèce ou race) sont aujourd’hui bien connus des consommateurs, mais aussi des éleveurs. Cette pratique industrielle est de moins en moins soutenue par le secteur, et des systèmes alternatifs ont vu le jour.

Parmi eux, on trouve l’élevage mixte biologique, qui associe au moins deux espèces différentes au sein d’une même exploitation. Le projet européen Mix-Enable, auquel participe le Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W), cherche depuis 2018 à caractériser ce type d’élevage. Les chercheurs en ont déterminé les bénéfices et limites, en enquêtant auprès d’une centaine de fermes en Europe, dont une dizaine en Wallonie.

Le mélange d’espèces, futur de la production animale ?

« Les effets négatifs de l’élevage intensif soulignent le besoin d’une transition agroécologique dans le secteur. Or, la recherche en agronomie possède encore trop peu de données sur les techniques de productions alternatives. L’intérêt principal du projet est donc de produire de nouvelles connaissances sur la gestion des exploitations européennes qui se basent sur l’élevage mixte bio », indique la responsable belge du projet, Marie Moerman, ingénieure agronome au sein de l’Unité agriculture et durabilité du CRA-W.

Pour ce faire, les chercheurs ont analysé 104 fermes dans sept pays européens. En Wallonie, l’étude dévoile que ces exploitations sont très diversifiées. Que cela soit au niveau des associations d’espèces animales (de deux à quatre), de la taille de la ferme, et de l’allocation des terres.

 

Liste de fermes mixtes wallonnes étudiées – Copyright Mix-Enable – BL : bovin laitier – BV : bovin viande – OV : ovin viande – PC : poulet de chair – Po : porc – PP : poule pondeuse © Mix-Enable

L’enquête montre qu’élever au moins deux espèces, sans pour autant les associer, offre déjà des avantages au producteur. Cela lui permet de diversifier ses produits, et donc de sécuriser ses revenus. Ou encore d’accueillir une personne pour l’aider à travailler à la ferme. Mais ce modèle de production devient surtout intéressant lorsque les ateliers d’élevage sont intégrés.

 

Copâturage de poulets et de bovins © Mix-Enable

La cohabitation heureuse des vaches et des poulets

« D’après notre enquête, plus de la moitié des éleveurs wallons interrogés mettent en place des stratégies pour intégrer leurs différents élevages. Certains pratiquent, par exemple, le co-pâturage. Une ferme réunit ainsi dans la même prairie des bovins et les poulets de chair, avec des effets très positifs », note Marie Moerman.

Il faut savoir qu’élever des poulets en plein air présente de nombreux avantages (bien-être animal, apport nutritionnel extérieur, etc.). Néanmoins, il n’est pas toujours simple pour les éleveurs de les amener hors du poulailler. Ces volatiles redoutent, en effet, les espaces ouverts, se sentant menacés par les éventuels prédateurs venus du ciel. « Et il s’avère qu’être entourés de vaches les rassure, car les bovins représentent pour eux des repères dans l’espace, et de possibles abris pour se cacher », explique la chercheuse. « Ajoutons que les poulets, en picorant les larves dans les bouses, limitent le parasitisme du bovin. Bovin et volaille n’étant pas ciblés par les mêmes parasites, l’ingestion des parasites du bovin n’affecte pas les poulets. C’est donc une association plutôt gagnante ».

Une autre stratégie d’intégration consiste à valoriser le co-produit issu de la production d’une espèce, en faveur d’une autre : « Dans l’une des fermes enquêtées, le producteur récupère le lactosérum – liquide acide résultant de la coagulation durant la fabrication du fromage au départ du lait de ses vaches – pour nourrir ses porcs. Valorisant de cette manière tout ce que la ferme produit, et en limitant les gaspillages. De plus, alimenter les porcs avec ce produit riche en protéines et en sels minéraux permet d’améliorer la qualité de la viande ».

 

© Mix-Enable

Une meilleure prise en compte du bien-être des éleveurs

Au vu de ces résultats, l’élevage biologique mixte peut être considéré comme un modèle d’élevage prometteur. Même si cela a un prix : « C’est un système plus complexe, qui demande au producteur des connaissances techniques pour au minimum deux espèces, et appelle davantage de travail », précise la scientifique. Ces difficultés, couplées à une connaissance limitée des pratiques alternatives, font que ce type d’élevage reste encore marginal.

« Mais, en même temps, les productions intensives, connues et pratiquées depuis 70 ans, ont aussi un coût pour le fermier. Dans l’élevage industriel, il y a une course à la rentabilité, et cela se fait bien souvent au détriment de l’éleveur. Dans cette recherche, son bien-être est pris en compte, tout comme celui de l’animal, et la santé environnementale », soutient la responsable de l’étude.

La suite du projet se concentrera à évaluer la durabilité et la robustesse de ces exploitations. Mais aussi à développer des modèles de simulation numérique qui permettront de concevoir, avec les éleveurs, des exploitations d’élevage mixte biologique adaptées à leurs besoins et contraintes.

 

Haut depage