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Le spectre de l’antimatière mis à nu

20 décembre 2016
par Daily Science
Temps de lecture : 5 minutes

C’est une première. La signature spectrale d’un atome d’antimatière a été observée pour la première fois au CERN, l’Organisation européenne pour la Recherche nucléaire située à Genève (Suisse). Il s’agit du spectre d’un atome d’antihydrogène.

 
Ce sont les scientifiques qui travaillent depuis 20 ans sur l’antimatière dans le cadre de l’expérience ALPHA (on dit « collaboration ALPHA» dans le jargon) qui viennent de faire cette première mesure du spectre optique d’un atome d’antimatière.

 

Cette signature spectroscopique de l’antimatière devrait les aider comprendre pourquoi, dans l’Univers, la matière domine (et donc nous, notre planète, les étoiles, etc.), alors qu’au début de son histoire, il devait sans doute être constitué d’autant de matière que d’antimatière.

 
Une source d’informations en astronomie, en chimie, en physique

 
Le spectre d’un atome est une information très utile. Les atomes sont composés d’électrons en orbite autour d’un noyau. Lorsque les électrons transitent d’une orbite à l’autre, ils absorbent ou émettent de la lumière à des longueurs d’onde spécifiques, qui constituent le spectre de l’atome.

 

Chaque élément a un spectre caractéristique qui lui est propre. C’est pourquoi la spectroscopie est un outil communément utilisé dans de nombreux domaines de la physique, de l’astronomie et de la chimie.

 

Le procédé est un moyen de caractériser les atomes et les molécules et leurs états internes. En astrophysique, l’analyse du spectre de lumière des étoiles lointaines permet aux scientifiques de déterminer leur composition chimique.

 
Les principes de la physique mis à l’épreuve

 
Constitué d’un unique proton et d’un unique électron, l’hydrogène est l’atome le plus abondant, le plus simple et le mieux connu de l’Univers. Son spectre a été mesuré avec une très grande précision. « En revanche, les atomes d’antihydrogène sont mal connus », explique le CERN.

 

« Comme l’Univers semble constitué entièrement de matière, il faut, pour pouvoir mesurer le spectre de l’antihydrogène, commencer par produire les constituants des atomes d’antihydrogène, à savoir les antiprotons et les positons, puis les assembler en atomes. Le processus est fastidieux, mais cet effort vaut la peine. Toute différence mesurable entre les spectres de l’hydrogène et de l’antihydrogène pourrait remettre en cause les principes fondamentaux de la physique, et nous aider à comprendre l’énigme du déséquilibre entre matière et antimatière dans l’Univers ».

 
Aucune différence observée à ce jour

 
Dans les limites de l’expérience APLHA, qui permet de comparer pour la première fois le spectre de lumière de la matière et de l’antimatière, la conclusion est qu’il n’y a pas de différence entre les deux raies spectrales. Du moins au niveau actuel de précision de la mesure, comme l ’explique dans la vidéo ci-dessous Jeffrey Hangst, porte-parole de la collaboration ALPHA.

 

[youtube]https://youtu.be/AxG_dYEfF5g[/youtube]

 

Ce résultat est conforme au Modèle standard de la physique des particules, la théorie qui décrit le mieux les particules et les forces qui s’exercent sur elles. En effet, cette théorie prédit que l’hydrogène et l’antihydrogène doivent avoir des caractéristiques spectroscopiques identiques.

 

Production d’antimatière : la recette du CERN

 

L’expérience ALPHA, placée auprès du Décélérateur d’antiprotons du CERN, est un dispositif unique en son genre. Il est capable de produire des atomes d’antihydrogène et de retenir ceux-ci dans un piège magnétique spécialement conçu à cet effet, en les manipulant par petites quantités. Les atomes d’antihydrogène, une fois piégés, peuvent être étudiés au moyen de lasers ou d’autres sources de rayonnement.

 
« Il est facile de déplacer et de piéger des antiprotons et des positons, qui sont des particules chargées, explique Jeffrey Hangst, porte-parole de la collaboration ALPHA. Mais quand vous assemblez les deux, vous obtenez de l’antihydrogène, qui est neutre et beaucoup plus difficile à piéger. C’est pourquoi nous avons inventé un piège magnétique très spécial, qui utilise le fait que l’antihydrogène est légèrement magnétique. »

 
Pour fabriquer l’antihydrogène, on mélange des plasmas d’environ 90 000 antiprotons, issus du Décélérateur d’antiprotons, avec des positons, ce qui aboutit à la production de quelque 25 000 atomes d’antihydrogène par tentative.

 

Les atomes d’antihydrogène peuvent être piégés s’ils se déplacent suffisamment lentement au moment de leur création.  En utilisant une technique nouvelle, dans laquelle la collaboration empile les antiatomes résultant de deux cycles de mélange successifs, il est possible de piéger en moyenne 14 antiatomes par tentatives, contre 1,2 seulement avec les méthodes utilisées précédemment.

 

En éclairant les atomes piégés au moyen d’un faisceau laser à des fréquences réglées précisément, les scientifiques arrivent à observer l’interaction du faisceau avec les états internes de l’antihydrogène.  En l’occurrence, on a observé la transition dite 1S-2S. L’état 2S dans l’atome d’hydrogène a une durée de vie longue, ce qui correspond à une petite largeur naturelle de la raie spectrale ; il est donc particulièrement adapté aux mesures de précision.

 

« Utiliser un laser pour observer une transition dans l’antihydrogène, puis comparer le résultat avec ce qui se passe pour l’hydrogène pour voir si le phénomène obéit aux mêmes lois de la physique a toujours été un axe essentiel de la recherche sur l’antimatière », rappelle encore Jeffrey Hangst.

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