Le rat d'égout © La minute sauvage

Rattus : à la découverte des mystères du rat d’égout

21 février 2024
par Joffrey Onckelinx
Durée de lecture : 6 min

Côtoyant les entrailles du musée des égouts, l’exposition « Rattus » offre une plongée inédite dans l’univers méconnu de l’une des espèces les mieux adaptées à l’environnement urbain. Pour sa première année thématique, le musée met le rat d’égout à l’honneur. Le but ? Démystifier et éduquer le public par rapport à ce rongeur méconnu devenu citoyen de nos villes. L’occasion d’en apprendre plus sur ce voisin parfois encombrant et si souvent diabolisé.

Rattus norvegicus

L’histoire des rats est celle d’une conquête planétaire. Parti de l’Inde et de la Chine pour arriver en Europe aux alentours du XVe siècle, ce rongeur a suivi les mouvements de population et les routes commerciales pour parvenir à s’implanter sur tous les continents (à l’exception de l’Antarctique). De son nom latin Rattus norvegicus, le rat d’égout ou rat brun (à ne pas confondre avec son confrère Rattus rattus ou rat noir) peut frôler les 30 centimètres à l’âge adulte. Il a tendance à se regrouper pour former de petites colonies souterraines pouvant compter jusqu’à une centaine d’individus.

Ni domestiqué, ni sauvage, le rat s’est peu à peu installé dans nos villes et a su tirer profit de nos égouts. En effet, humides, les protégeant de leurs prédateurs et surtout regorgeant de nourriture, les égouts s’avèrent être l’endroit idéal pour que l’espèce puisse prospérer en toute sérénité. Comme le rappelle Sophie Vanderschueren, co-commissaire de l’exposition et médiatrice scientifique : « Le rat est là parce que nous lui donnons tout ce dont il a besoin. »

Rattus norvegicus © Musée des Égouts

Une aura de saleté qui lui colle à la peau

Tant en raison de son habitat urbain que de son histoire, le rat est souvent victime de préjugés. On le considère souvent comme sale et vecteur de maladies.

Bien que celui-ci se lave régulièrement, l’environnement dans lequel il évolue le rend parfois vecteur de certaines maladies. Les principaux risques sanitaires sont liés à un contact avec ses déjections. La leptospirose, une infection bactérienne véhiculée par l’urine des rats en est l’exemple le plus connu. Bien que cette maladie soit sérieuse, des mesures d’hygiène simples (gants, lunettes, vêtements étanches), permettent de réduire drastiquement les risques de contamination. Les quelques dizaines de cas recensés par an en Belgique sont d’ailleurs souvent importés, notamment lors des retours de vacances à l’étranger.

Certaines bactéries peuvent également être transmises par morsure, mais de manière générale, le rat aura tendance à éviter un combat avec les êtres humains.

Un glouton prolifique

Malgré sa mauvaise réputation, le rat d’égout joue un rôle important dans l’équilibre écologique urbain. Capable de manger jusqu’à 10% de son poids par jour, le petit rongeur est devenu un allié de taille dans la gestion de nos déchets (pour la ville de Paris, on estime qu’il consomme environ 800 tonnes de déchets chaque année). Il pourrait même prévenir la formation de bouchons dans les canalisations des égouts !

Malgré cela, le rythme de reproduction incroyablement rapide du rat pose parfois problème. En effet, sexuellement mature vers 3 mois, celui-ci peut avoir 3 à 5 portées par an comptant en moyenne 8 petits. Bien que cette prolifération manque cruellement d’études scientifiques pour être analysée correctement, les chiffres estimés poussent les autorités à mettre en œuvre d’importantes campagnes de dératisation, comme c’est le cas deux fois par an à Bruxelles.

Collection des pièges © collection privée de Herwig Leirs

Repenser les méthodes de lutte

Différentes techniques destinées à endiguer la prolifération des rats en milieu urbain ont vu le jour au fil du temps.

Si les nouveaux raticides ne contiennent plus d’arsenic comme ce fut le cas pour la mort au rat, leur impact sur l’environnement et le bien-être animal pose néanmoins toujours question.

En effet, le raticide le plus communément employé aujourd’hui, tant dans les égouts que chez les particuliers, est un anticoagulant qui, une fois ingéré, entraîne une hémorragie interne et la mort en 3 à 7 jours. Un processus long, ayant pour but d’éviter que les autres rats ne comprennent la dangerosité du procédé, et synonyme de souffrance pour le petit rongeur. Qui plus est, la diffusion massive de ce raticide dans les égouts peut poser certains problèmes environnementaux en rejoignant d’autres écosystème aquatiques.

Toutefois, différentes techniques existent et peuvent parfois s’avérer être des alternatives plus respectueuses du bien-être animal. Pour y voir plus clair, des chercheurs de l’Instituut voor Natuur en Bos (INBO) ont entrepris de mettre des scores aux principales techniques de lutte, allant du pire au moins pire en matière de souffrance animale.

Pour ce faire, l’association se base sur plusieurs critères (le niveau de douleur, l’effet sur les animaux qui ont pu s’échapper, le temps durant lequel le rat reste conscient une fois la méthode appliquée et, enfin, l’effet potentiel sur un animal non-ciblé). En suivant cette échelle, on trouve par exemple le dispositif Good Nature A24, qui cible les rats sans utiliser de substances toxiques, en haut du classement alors que les pièges collant le rat au sol à l’aide d’une substance visqueuse sont considérés comme les pires.

Comme l’atteste l’exposition, l’idée est de montrer les alternatives aux poisons et autres méthodes faisant inutilement souffrir le rat. Comme le rappelle Sophie Vanderschueren, « certains gestes peuvent déjà aider comme l’utilisation de poubelles hermétiques dans les lieux publics, l’adaptation et le respect des horaires de collecte des déchets, l’arrêt du nourrissage des pigeons, etc. »

Publicité mort-aux-rats « Tord-Boyaux », gravure sur bois, 19ème siècle © Wellcome Collection

Vers une cohabitation équilibrée

L’initiative « Rattus » aspire à éclairer le public sur la possibilité d’une cohabitation équilibrée avec ces voisins souvent perçus comme encombrants, mais souvent victimes de préjugés.

Cependant, le manque d’études approfondies sur les rats, en particulier dans notre capitale, signifie que nous manquons de données essentielles pour adopter des mesures efficaces et respectueuses à leur égard.

Sophie Vanderschueren déplore le fait que des projets de recherche similaires à « Armaguedon » à Paris, qui étudie l’écologie des rats de la capitale et vise à combattre les stéréotypes qui leur sont associés, soient malheureusement inexistants pour le moment.

En attendant, en plus de l’exposition au musée des égouts, une conférence réunissant experts belges et internationaux est prévue pour le 23 février afin d’approfondir la réflexion sur la gestion durable du rat dans nos villes.

Haut depage