SÉRIE (3) / Science ou fiction?
Toute cette semaine, en Fédération Wallonie-Bruxelles, l’opération « Printemps des Sciences » plonge aux confins de la science et de la fiction. Daily Science se met au diapason.
À l’Université de Liège, le Dr Jérémy Brisbois aime prendre de la hauteur. Un tout petit peu de hauteur… Mais quelle prouesse! Lévitateur acoustique, Lévitron, effet Leidenfrost et autre stylo flottant n’ont plus de secrets pour ce spécialiste de la… lévitation.
Actuellement, après une thèse de doctorat sur les supraconducteurs, Jérémy Brisbois partage son temps entre un postdoctorat et la diffusion des sciences dans le milieu scolaire. Lauréat d’une bourse de spécialisation en communication et vulgarisation scientifiques d’une durée d’un an du Fonds Wernaers (FNRS), il a créé un atelier scientifique ludique et interactif pour percer les mystères de la lévitation. Deux fois par semaine, il réalise des expériences captivantes devant les yeux d’élèves d’écoles secondaires de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Les supraconducteurs, des super matériaux glacés
L’une de ces expériences lève le voile sur les trains lévitants. Le fac-similé de rail utilisé pour l’expérience est pavé d’aimants identiques produisant un champ magnétique. Quant au rôle du train proprement dit, il est joué par une pastille de céramique qui, une fois refroidie, se muera en supraconducteur. C’est-à-dire en un matériau capable de repousser la totalité du champ magnétique. C’est cette caractéristique qui permet de faire flotter des objets lourds en l’air.
Les supraconducteurs se caractérisent par une autre propriété, qui ne joue néanmoins aucun rôle dans le train lévitant. On dit d’eux qu’ils sont des conducteurs parfaits. En effet, si on leur applique un courant électrique, on ne va constater aucune dissipation d’énergie, aucune résistance. Dans 100 ans, ils contiendront toujours le courant, identique au jour où il a été injecté.
Un détail encore: les supraconducteurs n’existent pas à température ambiante. Ils ne se révèlent qu’à très basse température. Elle varie en fonction des matériaux, mais flirte globalement avec les -200°C.
L’effet Leidenfrost… dans votre cuisine
Pour refroidir la pastille de céramique faisant office de train dans l’expérience, elle est emballée dans une enveloppe de coton qui va absorber l’azote liquide fumant et servir ainsi de réfrigérant. L’excès d’azote liquide roule littéralement sur la table. C’est l’effet Leidenfrost, un autre exemple de lévitation.
La différence de température entre l’azote liquide (-269°C) et la table (20°C) est telle que le premier se met en en phase gazeuse formant un petit coussin transportant des billes d’azote liquide. Vous avez déjà vu ça quelque part ? Le même phénomène s’observe en effet dans la cuisine lorsque de l’eau froide est versée sur une taque bien chaude.
Lévitation extrêmement stable
Une fois la pastille enrubannée de coton suffisamment refroidie, elle devient supraconductrice et se met à flotter au-dessus des aimants. En lui donnant une impulsion, elle se met à suivre les rails sans jamais s’en écarter. Même lorsque ceux-ci passent de l’horizontal à la verticale.
Cette lévitation extrêmement stable est liée à l’empreinte magnétique que gardent les supraconducteurs. Cette caractéristique est très utile pour créer des trains qui ne vont pas dérailler. Ni dans des tournants serrés, ni en cas de collision.
De quoi atteindre aussi une vitesse élevée, comme l’explique ici le Dr Brisbois:
Actuellement, le projet de train lévitant le plus abouti est sans conteste le Maglev japonais. « Autour des rails, il y a des murets contenant des bobines générant un champ magnétique dans un sens ou dans l’autre. Cela permet de moduler la vitesse du train. Pour l’accélérer, les bobines sont placées de telle sorte qu’elles l’attirent. A contrario, pour le faire freiner, elles le repoussent. »
Le Maglev, concurrentiel avec l’avion sur les moyennes distances
Le déplacement du train engendre une traînée électromagnétique très importante, avec comme conséquence une consommation énergétique élevée. Il est ainsi plus énergivore que le TGV. Néanmoins, sur une distance de 1000 km, il peut concurrencer l’avion, comme l’explique Jérémy Brisbois:
L’humain, un diamagnétique faible
Les supraconducteurs sont des diamagnétiques parfaits. Exposés à un champ magnétique d’un tesla, ils le repoussent entièrement. Ce n’est le cas ni des fourmis, ni des grenouilles, ni des humains. Tous les composés organiques sont faiblement diamagnétiques. C’est-à-dire que face à un aimant, ils ont tendance à légèrement repousser son champ magnétique. Cette caractéristique permet aux éléments légers (quelques grammes) de léviter, à condition du moins que le champ magnétique soit assez fort.
A contrario, le graphite pyrolytique est lui fortement diamagnétique. Une feuille de ce composé artificiel flotte ainsi facilement au-dessus de quatre aimants permanents. Si leur champ magnétique est fort, il est toutefois plus faible à leurs intersections. Résultat: la feuille de graphite reste piégée là où le champ est le plus faible.
Train à sustentation électromagnétique
Enfin, il existe encore d’autres trains lévitants qui fonctionnent non pas avec des supraconducteurs, mais avec des électroaimants classiques qui, eux, ne nécessitent aucun refroidissement. Une telle ligne existe en Chine. Il s’agit du Transrapid à Shanghai.
Longue de 30 km, la ligne relie l’aéroport au centre-ville en 7 minutes, soit à une vitesse moyenne de 257 km/h.
Vu ces performances, pourquoi trains lévitants ne sont-ils donc pas omniprésents? C’est une question d’argent. Le coût des trains lévitants est exorbitant, qu’ils utilisent des aimants supraconducteurs ou des électroaimants. Le bon vieux « chemin de fer » a encore de beaux jours devant lui…