Dans «Les désillusions de la psychanalyse» aux éditions Mardaga, Jacques Van Rillaer propose une nouvelle version de son exposé didactique et critique de la psychanalyse d’orientation freudienne. Enrichie de découvertes dans des archives restées secrètes. Et d’avancées de la psychologie scientifique qui remettent en question la psychanalyse.
Les milliers d’archives concernant le médecin autrichien Sigmund Freud et l’histoire de sa psychanalyse ne deviennent accessibles qu’au compte-gouttes. Des correspondances resteront secrètes jusque dans les années 2100. Comme celle avec son confrère Josef Breuer qui s’est occupé de la première psychanalysée Anna O., qualifiée d’hystérique.
Pour le professeur émérite de psychologie à l’UCLouvain, «il y a manifestement encore des choses à cacher! La légende de la guérison d’Anna O. n’était pas la première mystification de Freud. Toutefois, on dispose déjà de beaucoup d’informations qui font apparaître Freud et son œuvre sous un jour très différent du récit hagiographique largement diffusé dans les médias et dans l’enseignement.»
Aider celles et ceux qui doutent
Avant de se spécialiser en thérapies cognitivo-comportementales, le psychothérapeute a pratiqué la psychanalyse freudienne pendant une dizaine d’années. Son analyse porte sur les pratiques les plus typiques. «Freud avouera très clairement en 1913 qu’il avait cru à tort, pendant des années, qu’il suffisait d’informer le patient sur ce qu’il avait refoulé pour qu’il guérisse. Il écrira que les patients ne guérissaient pas. Et, d’autre part, qu’ils ne confirmaient nullement le souvenir des scènes sexuelles censées expliquer leurs troubles.»
Deux raisons ont poussé le Pr Van Rillaer à rédiger ce bilan du freudisme. «La première est l’obligation pour un professeur d’université de s’informer sans relâche et de publier périodiquement le résultat de ses recherches. La deuxième raison est la volonté de rendre service. À partir du moment où j’ai ma conviction que des personnes sont induites en erreur, perdent leur temps et risquent d’aller plus mal, j’éprouve l’obligation de faire savoir ce que j’ai eu la chance d’avoir appris.»
«Je n’ai pas la naïveté de croire que je peux faire changer d’avis les dévots de la psychanalyse. Je souhaite seulement aider celles et ceux qui doutent. Afin qu’ils appliquent la devise kantienne des Lumières: “Sapere aude“. Ose penser par toi-même. Aie le courage de te servir de ton propre entendement.»
N’importe qui peut se présenter comme psychanalyste
La psychanalyse séduit Jacques Van Rillaer quand il avait une quinzaine d’années. À l’université, il se centre sur l’étude de Freud. «À la Faculté de psychologie de l’UCLouvain, dans les années 1960, ceux qui adoptaient les idées de Freud éprouvaient le sentiment exaltant d’être les progressistes, les intellectuels audacieux, les explorateurs des profondeurs secrètes dont la psychologie traditionnelle ignorait tout.»
«À présent, quasi tous les concepts psychanalytiques sont ambigus et leur combinaison aboutit à une doctrine floue et nébuleuse. Psychiatre et psychologue sont des titres légaux qui supposent un diplôme universitaire. Par contre, dans aucun pays au monde, le titre de psychanalyste ne se trouve légalement réservé à des personnes qui auraient accompli une formation ad hoc. N’importe qui a le droit de faire de l’analyse psychologique. Et de se présenter comme analyste ou psychanalyste.»
La foi du psychologue dans le freudisme commence à se fissurer en 1968. «Assistant durant six mois au département de psychologie clinique de l’Université de Nimègue aux Pays-Bas, je me suis trouvé seul freudien au sein d’une équipe qui travaillait sur des bases radicalement différentes.»
La rupture
Des membres de l’équipe nimégoise avaient ramené de nouvelles idées des États-Unis et de Londres. «À Nimègue, les psychologues voyaient alors la psychanalyse comme une idéologie bourgeoise, qui faisait le jeu des autorités, en donnant invariablement des explications intrapersonnelles: pulsions, fixation anale, complexes d’Œdipe et de castration», raconte le Pr Van Rillaer. «Pour les Hollandais, plus soucieux du rapport coûts-bénéfices que de l’élégance des paroles, la cure freudienne avait fait son temps. L’approche comportementale, alors toute récente, apparaissait plus efficace.»
Le psychologue entreprend une formation en thérapie comportementale. «Ma déconversion s’est faite lentement, par étapes», explique Jacques Van Rillaer. «J’ai dû vaincre des résistances. Braver la conception dominante de mon milieu intellectuel. Mettre en péril des amitiés, car les passions sont fortes en milieu analytique. Quitter à regret la jouissance de l’omniscience. Acquérir l’esprit scientifique. Et dire “peut-être” et “je ne sais pas”.»