Le coliving à Bruxelles, une affaire juteuse

21 juin 2023
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 5 min

L’offre d’immeubles proposant des chambres individuelles et des espaces partagés pour des périodes transitoires, ce qu’on appelle le « coliving », a le vent en poupe à Bruxelles. Charlotte Casier, chercheuse à l’Institut de Gestion de l’Environnement et d’Aménagement du Territoire (IGEAT) de l’Université Libre de Bruxelles vient d’étudier ce phénomène. Elle a détaillé certains de ses résultats lors d’une séance organisée à l’IRIB, l’Institut de recherches interdisciplinaires sur Bruxelles (Université Saint-Louis).

L’aspirante FNRS, qui vient de défendre sa thèse, a consacré ses travaux à l’émergence et au développement de ce type de « logement flexible et financiarisé » dans la capitale. Ou plus exactement, dans certaines communes de la capitale.

Les cartes produites par la géographe qui recensent la présence de ces logements à Bruxelles sont claires. « Les quelque 3.000 chambres de ce type présentes dans 290 immeubles à Bruxelles se concentrent principalement autour du Pentagone, dans les communes de Saint-Gilles, Ixelles, Etterbeek, Saint-Josse et Schaerbeek», détaille la scientifique.

Cartographie du coliving à Bruxelles © Charlotte Casier

Un phénomène qui prend son envol en 2016

En ce qui concerne le type de bâtiments concernés, il s’agit essentiellement d’anciennes grandes maisons bruxelloises plutôt destinées à du logement unifamilial. Elles sont rénovées et chaque pièce utile devient une chambre privative. Le reste des espaces étant partagé par les occupants. « Le phénomène est récent », constate encore la chercheuse. « Il s’est développé à Bruxelles à partir de 2016.»

Cette année-là, d’après ses recensements, moins d’une centaine de nouvelles chambres de coliving étaient en développement ou mises sur le marché dans la capitale. L’an dernier, ce chiffre est passé à plus de 700.

Des maisons bruxelloises transformées en kots de luxe?

« Le coliving, c’est aussi une vieille recette visant un nouveau public », reprend Charlotte Casier. Les sociétés privées proposent un toit à ce nouveau public, mais aussi des facilités privatives et partagées, des services comme le nettoyage et parfois aussi des aménités supérieures, telle la mise à disposition d’un sauna. Et bien sûr, elles vendent aussi une vie en communauté à ces expatriés qui, lorsqu’ils débarquent dans la ville, n’y disposent généralement pas de réseau social. Le tout étant proposé avec des contrats courts et flexibles ».

On notera qu’en général, et contrairement à d’autres formes d’hébergement temporaire (hôtels, AirBnb, kots), les clients du coliving se domicilient dans le logement qu’ils occupent.

Quel est le public cible? « Les sociétés de coliving qui gèrent ces logements visent en priorité les jeunes professionnels », indique la chercheuse. « Il s’agit de jeunes travailleurs, âgés de 22 à 30 ans, en situation de mobilité internationale ».

Les Belges, souvent non Bruxellois, ne sont pas absents de cette clientèle. « Un tiers des clients sont des locaux », précise la Dre Casier. « Un tiers sont Français et le tiers restant regroupe des personnes d’autres nationalités ». Tous ont les moyens de s’offrir un logement de ce type où le prix du loyer commence aux environs de 700 euros par mois.

Ixelles, une des communes bruxelloises les plus prisées pour le coliving © Christian Du Brulle

Maximisation de la rentabilité

Pour les propriétaires de ces maisons, souvent des investisseurs privés qui délèguent la gestion du coliving à des sociétés privées, l’affaire est juteuse. Comme le confiait le patron d’une de ces entreprises privées, « nous arrivons à louer une dizaine voire une quinzaine de chambres pour une seule maison », rapporte Charlotte Casier, qui a fait le calcul. Pour une maison ixelloise louée comme maison unifamiliale dans le quartier de l’ULB, un propriétaire peut espérer un loyer mensuel de 3.000 à 3.500 euros. Transformée en coliving de 8 chambres, louées 740 euros chacune, la rentabilité bondit à 5.920 euros…

La motivation de ces investisseurs pour ce type de projets est dopée par la rentabilité, mais aussi par toute une série d’autres éléments. « En exploitant une zone grise de la réglementation urbanistique, la transformation d’une maison bruxelloise en coliving est relativement simple et rapide », indique la scientifique.

Pression sur le sous-marché immobilier

« Aucun permis n’est nécessaire pour établir un coliving dans une maison unifamiliale existante, car on ne modifie pas le nombre de logements (on ne la transforme pas en trois appartements par exemple) », précise-t-elle. « On ne change pas non plus la destination du bâtiment. Cela reste du logement. Donc aucun permis n’est requis. De même, aucune autorisation particulière n’est nécessaire pour réaliser certains travaux de transformation ou d’aménagement intérieurs de minime importance. Les travaux peuvent donc commencer rapidement après l’acquisition de l’immeuble. La commercialisation est rapide, ce qui diminue le risque financier. Enfin, en déléguant à une société de coliving l’ensemble de ces tâches et la gestion des lieux par la suite, le propriétaire bénéficie d’une grande quiétude.»

La médaille a également son revers. Ce genre de transformation de maison bruxelloise en coliving en exclut de facto des habitants légitimes, souligne la chercheuse. « C’est-à-dire des familles bruxelloises. » Elle note que le nombre de maisons unifamiliales vendues entre 2015 et 2021 et transformées en coliving reste à ce stade modeste pour l’ensemble de la Région. Sauf dans certains quartiers et certaines communes. Ce chiffre atteint 15,8% des maisons vendues du côté du Berlaymont voire 21,9% dans la commune de Saint-Gilles.

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