Portant les stigmates du passé industriel de la Wallonie, les friches urbaines et périurbaines sont généralement vues comme des espaces inutiles à détruire. Mais une autre approche germe, celle de leur potentielle valorisation. Afin de permettre l’étude de cette possibilité, une centaine de citoyens prêtent main-forte à l’évaluation de la biodiversité dans les friches industrielles wallonnes. Plus précisément, ces naturalistes amateurs ou experts ont rejoint FrichNat, un projet de sciences participatives financé par le Plan de Relance de la Wallonie (PRW). Et porté par les Cercles des Naturalistes de Belgique (CNB) ainsi que par deux équipes de chercheurs de l’Université de Liège. Il a débuté fin 2022 et court jusqu’en septembre 2024.
Les inventaires biologiques ont lieu dans une petite dizaine de friches dans les alentours de Liège, Charleroi et Mons. Celles-ci ont été sélectionnées par les scientifiques du LEMA (Local Environment Management and Analysis) de l’ULiège sur base, notamment, de leur superficie supérieure à un hectare et de leur accessibilité en voiture.
Sélection de taxons
Et qu’y cherchent les naturalistes volontaires ? Rien qu’en Wallonie, on compte entre 30.000 et 35.000 espèces de microorganismes, de champignons, de plantes et d’animaux. Elles sont présentes en un bien trop grand nombre pour dire de les évaluer toutes dans le cadre de FrichNat. Dès lors, un choix a été opéré parmi les différents groupes taxonomiques.
« Certains « taxons » sont plus documentés que d’autres, bien que cela ne soit aucunement lié à leur abondance ou leur importance écologique. Etant donné qu’ils ne correspondent qu’à une petite partie de la biodiversité wallonne, il existe un biais taxonomique. Afin de le pallier, nous avons décidé de prioriser les taxons peu connus, tout en prenant en compte ceux plus documentés susceptibles d’être présents dans des habitats ayant été modelés par les actions anthropiques », expliquent les naturalistes des CNB.
Les taxons suivants ont ainsi été sélectionnés : reptiles, lichens, orthoptères (sauterelles, grillons, tetrix, criquets), hétéroptères (punaises) et aranéides (araignées). Au vu du grand nombre d’espèces de certains de ces taxons, quelques-uns ont été restreints à quelques familles.
73 espèces d’orthoptères
Parmi la centaine de naturalistes inscrits au projet FrichNat, une vingtaine se sont portés volontaires pour inventorier les sauterelles, les criquets, les grillons et les tetrix. Ces espèces sauteuses bien connues pour leurs pattes arrière musculeuses sont regroupées sous le nom d’orthoptères.
« Chez nous, il y a globalement davantage d’espèces de criquets que d’espèces de sauterelles. La meilleure saison pour les observer à l’état adulte s’étend de juillet à mi-septembre. C’est, en effet, sur les individus adultes que se concentre la clé de détermination permettant leur identification jusqu’à l’espèce », explique Stéphane Claerebout, écopédagogue au sein des CNB. Il vient de terminer la mise à jour de la clé de détermination des 73 espèces d’orthoptères de Belgique et de ses régions voisines.
Si 64 espèces ont été vues plusieurs fois sur le territoire national, 9 autres ont été signalées une fois ou sont susceptibles d’être rencontrées dans un avenir proche, notamment en raison du changement climatique.
A noter que les tetrix adultes se croisent quant à eux de début mai à fin juin, car contrairement aux autres orthoptères qui hivernent à l’état larvaire, ils passent l’hiver au stade adulte et débutent leur cycle de reproduction dès les beaux jours revenus.
Des protocoles rigoureux
Pour être à même de mettre un nom sur les différents orthoptères, une matinée de formation à la clé taxonomique a eu lieu en août 2023. L’après-midi, dans la réserve naturelle de Sclaigneaux à Seilles (Andenne), les volontaires ont pu mettre en place les deux protocoles de FrichNat.
Ceux-ci ont été co-construits au préalable par les scientifiques de l’Université de Liège, compétents dans l’analyse de données, et les écopédagogues CNB, compétents dans la connaissance et l’identification des groupes-cibles.
Armé d’un bâton, un volontaire donne 2 coups secs sur les branches d’un arbre ou d’un arbuste ou sur une liane. Les petits habitants se retrouvent sur la nappe blanche tendue en dessous. Ici, seules des sauterelles sont potentiellement observables et identifiables. L’opération est répétée 10 fois en 10 endroits éloignés chacun de minimum 5 mètres.
A cette étape de battage s’ajoute celle du fauchage. A l’aide d’un grand filet à insectes, il effectue de grands mouvements de va-et-vient à hauteur de la strate herbeuse. Le chronomètre s’enclenche : il s’agit de faucher activement durant 3 minutes, lesquelles peuvent être morcelées en périodes plus courtes, et d’identifier les espèces présentes.
« Ce premier protocole ne vise qu’à connaître les espèces en présence. Au contraire, le second protocole exige de déterminer le sexe des individus et d’en noter l’abondance », précise Stéphane Claerebout. Celui-ci se réalise à l’aide d’un « biocénomètre ». Il s’agit d’une sorte de parc d’enfant dénué de fond et dont les parois hautes de 70 centimètres constituées d’un tissu blanc ont vocation à empêcher les orthoptères emprisonnés de sauter en dehors. D’une superficie d’un mètre carré, il faut la placer dans une prairie où la végétation atteint la cheville ou le genou.
Analyses statistiques
A la fin de la journée de formation, tous les volontaires présents sont capables de réaliser les inventaires sans supervision. A noter que cette formation est indispensable pour avoir l’autorisation d’accéder aux friches et encoder les données.
Après la saison de terrain, les données biologiques de tous les taxons récoltées tout au long du projet par les naturalistes seront analysées par l’équipe de recherche en étude et restauration des écosystèmes terrestres, officiant au sein de l’axe Biodiversité et Paysages (BP) de l’Université de Liège (Gembloux Agro-BioTech) en vue d’être scientifiquement valorisées.
Les orthoptères étant des espèces bio-indicatrices, l’identification précise des espèces présentes dans les fiches industrielles et leur abondance pourraient permettre, à terme, d’ouvrir la voie à une protection de ces écosystèmes.