Roues d'Akiyoshi Kitaoka. Sitôt que vous fixez une roue, elle s'arrête de tourner. L'illusion de mouvement ne se produit que dans la vision périphérique © Laetitia Theunis

Le cerveau, une fabrique d’illusions ?

22 mars 2021
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 5 minutes

Notre cerveau nous joue des tours. Souvent, pour nous aider. Parfois, pour nous berner. Mais toujours dans un souci de cohérence. Même là où il n’y en a pas. « Il ne suffit pas de voir quelque chose pour y croire », annonce Albert Moukheiber, docteur en neurosciences cognitives, psychologue clinicien et parrain de l’exposition « Illusions, vous n’allez pas y croire ! » qui se tient à la Cité Miroir (Liège) jusqu’au 30 mai 2021. Tout au long du parcours ludique, trompant tour à tour certains de nos sens, le scientifique contextualise, sous forme de capsules vidéo, les illusions auxquelles les visiteurs sont confrontés.

Illusion de mouvement © Laetitia Theunis

Notre cerveau, un organe faillible

Pour beaucoup, la vue est le sens dominant. Cependant, notre cerveau peut commettre des erreurs d’interprétation. Il voit des objets là où il n’y en a pas. Il perçoit des mouvements au sein de dessins on ne peut plus fixes. Il se trompe allègrement dans l’appréciation des distances.

Et rapetisse et agrandit sans complexe des humains de taille standard. Tel est l’exemple de la chambre d’Ames, une illusion d’optique inventée en 1946 par le Dr Adelbert Ames, un ophtalmologue américain. Construite, en grandeur nature, au cœur de l’exposition, vous pourrez faire l’expérience par vous-même : placez-vous dans l’encadrement de la porte d’entrée. Demandez à deux personnes d’y pénétrer et de se tenir, l’une dans le coin gauche, l’autre dans le coin droit. Et puis demandez-leur d’intervertir leur place … La façon qu’a le cerveau de voir cette scène est stupéfiante. C’est comme si les deux personnes rapetissaient et grandissaient en passant d’un angle à l’autre. Cette illusion d’optique est utilisée dans le milieu du cinéma pour mettre en exergue des personnages de taille différente.

Illusion de mouvement © Laetitia Theunis

Une réalité subjective

Pour marcher dans la rue tout en évitant un lampadaire ou un pavé qui se déchausse, le cerveau fonctionne par approximation. Et cela fonctionne relativement bien. Dans le jargon psychologique, on appelle cela une heuristique. Mais parfois, cette heuristique – ici de la proprioception (positionnement du corps dans l’espace) – est défaillante, et on trébuche. Ce cas de figure d’approximation peut être transposé à une multitude d’actions, des plus concrètes aux plus abstraites, comme nos opinions.

« Nombre de décisions, d’actions, de réflexions se font de façon inconsciente. Ces mécanismes cérébraux nous permettent de construire une vision cohérente du monde. Mais souvent, ils ont un impact sur notre lucidité. Et peuvent nous enfermer dans nos a priori, nous détournant des autres points de vue ou possibilités », explique le centre d’action laïque de la province de Liège, créateur de l’exposition.

« Il est intéressant de prendre conscience des limitations de notre cerveau. Celui-ci recrée une réalité qui lui est souvent propre, mais n’a pas les ressources nécessaires pour appréhender le réel dans sa complétude. C’est pourquoi il est important de douter de soi et de faire confiance à l’autre », poursuit le Dr Moukheiber.

Malgré les lettres en désordre dans les mots, notre cerveau déchiffre rapidement la nouvelle syntaxe © Laetitia Theunis
Borne d’illusions auditives © Laetitia Theunis

Mirages auditifs

Les illusions affectent tous les sens. Qui n’a pas entendu « C’est Noël » dans une publicité pour un opérateur téléphonique diffusée en décembre dernier, en lieu et place de « Sail Away », dans la chanson pourtant non-modifiée de la chanteuse irlandaise Enya ?

Ce type d’illusion auditive est mis en évidence sur une des bornes interactives de l’exposition, diffusant des bouts de chansons en langue étrangère avec un sous-titrage particulier en français. Après cette expérience, vous n’écouterez plus « Nothing else matters » de Metallica de la même manière.

Le pistolet thermomètre révèle, à l’inverse du ressenti au toucher, une température identique sur chacun des matériaux © Laetitia Theunis

Des matériaux trompeurs

Face à un manque d’information pour comprendre le réel, le cerveau fonctionne par prédiction, en se basant sur les informations collectées dans le passé, dans ce qui lui est familier.

Sur un pan de mur, des plaques de différents matériaux : du liège, de l’aluminium, du plastique et bien d’autres. En apposant la main à leur surface, on a l’impression de fortes variations de température. Certains matériaux paraissent chauds, d’autres franchement froid. Mais un pistolet mesurant la température à distance nous ramène vite les pieds sur Terre : ils sont tous, à quelques dixièmes de degré près, à température ambiante… 19,8°C.

 

Au fil des ateliers, les surprises se succèdent. On en ressort avec un autre regard sur le monde qui nous entoure. Et n’allez pas croire que ces quelques lignes révélant certains aspects de l’exposition vont gâcher votre plaisir : votre cerveau se laissera avoir comme s’il n’était au courant de rien!

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