Discuter du dopage sans tabou

22 mai 2020
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes

Se doper, c’est mauvais pour la santé. C’est contraire à l’équité sportive… «L’argument de la santé et celui de l’équité ne sont que des prétextes», réplique le médecin et philosophe Jean-Noël Missa, directeur de recherche au FRS-FNRS. «Ils sont mis en avant pour masquer une certaine philosophie du sport qui est à l’origine de la volonté d’interdire le dopage.»

«L’antidopage, c’est d’abord, et avant tout, une quête morale qui trouve ses racines dans une philosophie naturaliste du sport», poursuit le professeur au département de Philosophie, Éthique et Sciences des religions et de la laïcité de l’Université libre de Bruxelles (ULB).

«Selon cette conception, le sport de compétition doit récompenser le talent naturel et l’effort de l’athlète pour développer ses dons. Sans avoir recours à des artifices médicamenteux ou technologiques. Dans le cadre de cette pensée conservatrice, le dopage est perçu comme une faute.»

 

"Le dopage est-il éthique?" par Jean-Noël Missa. Collection l’Académie en poche. VP 7 euros - VN 3,99 euros
“Le dopage est-il éthique?” par Jean-Noël Missa. Collection l’Académie en poche. VP 7 euros – VN 3,99 euros

Des effets pervers

Dans «Le dopage est-il éthique?» de la collection l’Académie en poche, le membre de la classe Technologie et Société de l’Académie royale de Belgique s’interroge sur la politique de l’Agence mondiale antidopage (AMA), le régulateur du sport de compétition.

Pour le Pr Missa, «La politique prohibitionniste de l’AMA engendre un certain nombre d’effets pervers très préoccupants. Après 20 années d’expérimentation, il est temps de faire le point. Le problème central de la politique antidopage est que l’AMA et les autorités sportives sont incapables de faire respecter les règles définies dans le code mondial antidopage à cause de l’inefficacité relative des contrôles.»

«En ce qui concerne les risques pour la santé, il est loin d’être certain que la politique menée actuellement par l’AMA soit la meilleure possible, dans la mesure où, de facto, elle laisse se développer un dopage clandestin massif.»

L’équité sportive n’est pas assurée… «La politique actuelle est insatisfaisante dans la mesure où son inefficacité désavantage les athlètes qui ne prennent pas de produits dopants par rapport à ceux qui se dopent clandestinement. On ne peut que constater la faillite du système de l’antidopage basé sur le contrôle coercitif et les tests antidopage.»

Se doper n’est pas tricher

Les transhumanistes plaident pour qu’on autorise les sportifs à recourir aux technologies d’amélioration. Les penseurs libéraux estiment que cette décision relève de la liberté individuelle. Les bioconservateurs pensent que les biotechnologies d’amélioration posent des problèmes éthiques fondamentaux. Quelle est la conception de l’AMA?

«La politique prohibitionniste de l’AMA trouve ses fondements dans une philosophie naturaliste similaire à celle défendue par les penseurs bioconservateurs», explique le directeur du Centre de Recherches interdisciplinaires en Bioéthique (CRIB) de l’ULB. «On pourrait envisager un sport dont le cadre philosophique serait libéral, ou même transhumaniste. Se doper n’est donc pas nécessairement tricher. Tout dépend de la philosophie du sport que l’on souhaite choisir.»

Le chercheur pense qu’il est indispensable de discuter du dopage sans tabou, sans a priori. «Il faudrait permettre aux différents acteurs, en particulier les athlètes, de s’exprimer librement. C’est une question complexe qui n’offre pas de solution simple. Un vaste débat de société devrait être ouvert, sans préjugés, sur les conséquences de la politique antidopage. Sur la légitimité d’avoir recours aux technologies d’amélioration dans le sport. Ainsi que sur la politique sportive à défendre pour permettre aux athlètes d’exercer leur métier dans les meilleures conditions possible.»

Une autre médecine s’est développée

Des produits comme les amphétamines, les corticoïdes ou l’hormone de croissance ont été utilisés à des fins thérapeutiques avant de circuler dans les milieux sportifs…

«Au sein de la médecine classique, thérapeutique, s’est développée, insensiblement, une autre médecine dont l’objectif n’est plus de guérir, mais d’améliorer, c’est-à-dire une médecine dopante», constate Jean-Noël Missa. «Dans la biomédecine contemporaine, les nouveaux médicaments et technologies thérapeutiques peuvent être utilisés non seulement pour soigner le malade, mais aussi pour améliorer certaines capacités physiques ou mentales de l’être humain.»

L’avenir? «La philosophie de l’antidopage est condamnée à perdre du terrain. Que l’on veuille ou non, le scénario le plus probable de l’évolution du sport de compétition exige une utilisation croissante du génie biotechnologique en vue d’améliorer des performances constamment repoussées.»

Haut depage