En bruxellois, Smart City se dit Big Brother

22 octobre 2021
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 4 min

Les « smart cities », ou villes intelligentes, font l’objet de nombreuses attentions depuis quelques années. La Région de Bruxelles-Capitale n’échappe pas à cette tendance. Dans les smart cities, on mise notamment sur un usage pointu des outils numériques pour rendre la ville plus efficace, plus durable, plus agréable à vivre: en un mot, mieux gérée.

À Bruxelles, cependant, ce concept se traduit surtout par une plus grande… surveillance de ses usagers. Telle est la conclusion à laquelle arrive Nicolas Bocquet, doctorant à l’Institut de sciences politiques Louvain-Europe de l’UCLouvain, venu partager le résultat de ses recherches à l’Irib, Institut de recherches interdisciplinaires sur Bruxelles.

Transformer la Région en capitale du numérique

« Il n’existe pas vraiment de définition unifiée de la notion de smart city », indique Nicolas Bocquet. « C’est un peu un concept fourre-tout que chaque ville peut s’approprier pour y insérer ce qu’elle souhaite. »

La Commission européenne les définit comme des villes utilisant les technologies et le numérique au profit de réseaux de transports urbains plus efficients, d’un meilleur approvisionnement en eau, d’installations de traitement des déchets améliorées, d’une administration plus réactive ou encore d’espaces publics plus sûrs et adaptés aux besoins de tous.

Dans la capitale belge, le concept s’est principalement développé dans le cadre de l’accord de gouvernement 2014-2019, suite à certaines frustrations. « Bien que certaines politiques régionales étaient déjà “intelligentes” en 2014, Bruxelles se retrouvait plutôt mal classée dans les comparaisons internationales », analyse le chercheur. « Le gouvernement de l’époque misa dès lors sur le concept de smart city pour transformer la Région en capitale du numérique. L’idée étant de développer une plate-forme favorisant les partenariats et échanges de données entre les différents acteurs urbains. »

Centralisation de la vidéosurveillance

À l’autopsie, le chercheur constate que cette politique s’est surtout soldée par la centralisation de la vidéosurveillance du territoire. Les caméras de tout poil ont fleuri aux quatre coins de la Région. En 2016, on en dénombrait quelque 8.000. « En 2025, dans les seules infrastructures de la Stib , il devrait y en avoir pas moins de 15.000», indique-t-il. En parallèle, la qualité des images et des logiciels qui les analysent ne cesse de s’améliorer, constate le chercheur. Et au final, ces images bénéficient surtout aux six zones de police qui quadrillent le territoire des 19 communes.

Pourquoi ce succès sécuritaire et non celui d’autres applications estampillées « smart city » ? « Outre quelques événements malheureux survenus à Bruxelles, dont l’agression mortelle d’un superviseur de la Stib, le soutien du Ministre-Président a été décisif au développement de la vidéosurveillance centralisée », indique Nicolas Bocquet. Il souligne aussi que la thématique de la sécurité est consensuelle pour l’ensemble des partis de la coalition. Un enjeu sécuritaire encore plus présent suite aux attentats qu’a connu la ville.

Un échec en matière de mobilité

« En ce qui concerne l’amélioration de la mobilité urbaine, par contre, la politique de smart city bruxelloise reste un échec », constate Nicolas Bocquet. En cause: l’organisation institutionnelle de la Région bruxelloise qui induit une série de freins potentiels à des politiques publiques transversales. Mais aussi à cause de raisons politiques. « Les partis n’ont pas tous la même vision de la mobilité. C’est un exemple de cloisonnement caricatural », estime-t-il.

« En juillet 2019, le Gouvernement nouvellement formé, toujours dirigé par le même Ministre-Président socialiste, publie son accord de majorité 2019-2024. La centralisation de la vidéosurveillance régionale – que l’Exécutif souhaite étendre, désormais à des institutions privées telles que les centres commerciaux – est présentée comme réponse modèle à la fragmentation des compétences. »

« Les autorités développent leur “ambition smart city” sur deux pages et annoncent qu’elles souhaitent “se doter d’une politique numérique transversale, transcendant les délimitations de compétences”. La mobilité, en lien avec l’intelligence artificielle et l’open data, est à nouveau évoquée ainsi que toute une série d’enjeux liés au numérique. Néanmoins, c’est d’abord le volet économique de la smart city qui est mis avant ; signe qu’après le recours aux TIC à des fins sécuritaires, l’investissement dans ces outils pour stimuler la croissance économique représente probablement un autre terrain d’entente pour les autorités politiques bruxelloises », conclut-il.

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