Apprendre une langue dans son sommeil, mythe ou réalité ?

22 novembre 2022
par Camille Stassart
Durée de lecture : 4 min

Il y a une dizaine d’années, le monde scientifique jugeait encore impossible l’idée d’apprendre en dormant. Mais les progrès en neuro-imagerie ont permis d’apporter de nouvelles preuves sur le sujet. Il a notamment été démontré que le cerveau est capable, pendant le sommeil, de retenir des associations d’odeurs et de sons. Dans le cadre de son doctorat mené à l’École normale supérieure (France), Matthieu Koroma, aujourd’hui chargé de recherche FNRS au laboratoire Physiology of Cognition du GIGA (ULiège), a tenté de savoir si l’on pouvait assimiler des informations plus complexes, à savoir, une nouvelle langue.

Apprendre le japonais les yeux fermés

« Dans le cadre de ma thèse, je me suis demandé à quel point le cerveau dormant était en mesure de percevoir et de retenir des données complexes. Et s’il existe des périodes du sommeil plus propices à entendre ces informations extérieures », résume Matthieu Koroma.

Pour le savoir, le chercheur a testé la capacité d’apprentissage du japonais auprès de sujets endormis. « Nous avons choisi cette langue, car elle était assez éloignée du français pour éviter les biais. De plus, le registre des sons est relativement simple puisque les mots se composent d’une succession de consonnes et voyelles. Le japonais est aussi relativement dépourvu d’accent, contrairement à d’autres langues étrangères », précise le Dr Koroma.

Durant plusieurs mois, l’aptitude à apprendre une série de mots en japonais a été testée chez 22 participants, en comparaison à 12 sujets contrôles qui les apprenaient à l’éveil. « On les réveillait en milieu de nuit pour leur présenter des images associées à des sons, comme l’image d’un chien avec le son d’un aboiement, pour les familiariser avec les stimulations. Puis on leur faisait écouter, pendant leur sommeil, les sons (l’aboiement), puis leur traduction en japonais (« inu », « chien »). En parallèle, l’activité électrique du cerveau des sujets a été enregistrée à l’aide d’un électroencéphalogramme (EEG). »

Au réveil, les scientifiques présentaient aux sujets les mots japonais entendus (et théoriquement appris), et demandaient aux participants de donner leur signification sur base de deux images (par exemple, un chien ou une cloche). Chaque participant à l’étude devait fournir un score de confiance par rapport à cette réponse.

Infographie illustrant les différents stades du sommeil et de l’éveil enregistrés sur un sujet, par EEG © Alexandra Pinci / Inserm

Un apprentissage possible, mais lacunaire

Résultats ? Les participants étaient bel et bien capables d’identifier les images correspondant aux mots japonais écoutés pendant leur sommeil. « Toutefois, les réponses étaient données avec un faible degré de confiance, ou bien données complètement au hasard. Les résultats étaient très différents dans le groupe contrôle, où les sujets étaient généralement sûrs de leur réponse. Cela montre que l’apprentissage pendant le sommeil s’est réalisé de manière implicite ». En clair, les personnes n’avaient pas conscience, à l’éveil, de ces nouvelles connaissances.

A la question de savoir si une phase du sommeil est plus favorable à l’acquisition de ces informations, rappelons que le sommeil se compose d’une série de cycles, eux-mêmes constitués de plusieurs périodes de sommeil lent et de sommeil paradoxal. Durant le sommeil lent, l’activité électrique du cerveau se traduit par des ondes moins fréquentes, et de grandes amplitudes (des ondes lentes). « Dans notre étude, les mesures de l’EEG montrent que le cerveau des participants endormis produisait davantage d’ondes lentes quand le mot était retenu. Or, d’autres études ont montré que cette phase du sommeil est impliquée dans les processus de mémorisation ».

Le cerveau dormant est donc en mesure d’intégrer des informations plus complexes qu’on ne l’imaginait jusqu’ici. Pour autant, l’apprentissage pendant le sommeil sera toujours moins qualitatif que celui opéré à l’éveil. Selon les chercheurs, dix fois moins de répétitions de mots (4 contre 40) ont été nécessaires pour atteindre une précision considérablement plus élevée (88 % contre 59 %) chez les participants éveillés.

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