L’un des grands défis du futur sera de produire des aliments de qualité, selon des procédés durables, et en très grandes quantités. Parmi les solutions qui se profilent, les « Nouvelles Techniques Génomiques » (NGT) sont en bonne place. Face à cette potentielle future émergence d’une nourriture génétiquement modifiée destinée aux humains et aux animaux, il est crucial de développer et de valider des méthodes analytiques permettant leur contrôle. La Dre Ursula Vincent, cheffe de l’Unité « Conformité des denrées alimentaires et des denrées pour animaux » au sein du Centre commun de recherche de la Commission européenne (JRC), est venue discuter des challenges analytiques entourant l’agronomie du futur, lors de la séance académique organisée pour fêter les 150 ans du Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W).
Soutien européen à une nouvelle sorte d’OGM
Ca bouge dans le monde de l’édition des gènes. Il est à parier que le terme NGT, pour nouvelle technique génomique, va rentrer dans le langage du grand public dans les années à venir.
Les NGT décrivent un ensemble de méthodes scientifiques variées utilisées pour modifier le génome, apparues ou mises au point depuis 2001, année de l’adoption de la législation actuelle sur les organismes génétiquement modifiés (OGM). Il s’agit notamment de la mutagénèse ciblée (induction d’une ou plusieurs mutations dans un génome, de façon précise et volontaire) et de la cisgénèse (processus de génie génétique qui permet de transférer artificiellement des gènes entre des organismes qui pourraient être croisés selon des méthodes d’hybridation classiques).
Ces méthodes sont utilisées dans le but d’introduire, par génie génétique, certains traits caractéristiques dans des plantes, des animaux, des micro-organismes, en vue d’applications agroalimentaires, industrielles et pharmaceutiques.
« Les NTG ont connu un développement rapide au cours des deux dernières décennies dans de nombreuses régions du monde, certaines applications se trouvant déjà sur le marché de certains partenaires commerciaux de l’Union », mentionne un communiqué de la CE.
Ces nouvelles techniques génomiques ont reçu le soutien de la Commission européenne en avril 2021. « Plusieurs des produits végétaux issus des NTG peuvent contribuer aux objectifs du pacte vert pour l’Europe, et en particulier aux stratégies «De la ferme à la table» et de biodiversité, ainsi qu’aux objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies pour un système agroalimentaire plus résilient et plus durable », mentionne le résumé de l’étude menée par la direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne sur le statut juridique des nouvelles techniques génomiques.
« On peut citer à titre d’exemples des plantes plus résistantes aux maladies et aux conditions environnementales ou aux effets du changement climatique en général. Mais aussi l’amélioration des caractéristiques agronomiques ou nutritionnelles, la réduction de l’utilisation d’intrants agricoles (y compris les produits phytopharmaceutiques) et l’accélération de la sélection végétale. »
Autrement dit, la CE envisage les NGT comme une solution intéressante pour nourrir durablement les humains tout en luttant contre le changement climatique.
Harmonisation des contrôles dans toute l’EU
Tout ce qui entre sur le marché européen doit faire l’objet d’une autorisation préalable. Le JRC (Centre commun de recherche), c’est-à-dire le laboratoire de recherche scientifique et technique de l’Union européenne, ne réalise pas les contrôles lui-même, mais travaille en collaboration avec les laboratoires nationaux de référence, dont le CRA-W pour les OGM.
« Concernant l’analyse des OGM, et afin d’assurer une conformité avec les différentes législations européennes sur les ingrédients ou l’alimentation humaine et animale, des méthodes de détection ont dû être étalonnées et validées. Les différents laboratoires devraient donc obtenir des résultats similaires avec une méthode identique. Pour ce faire, ils ont recours à des matériaux de référence capables spécifiquement d’engendrer une calibration», explique Dre Vincent.
Actuellement, deux organisations fabriquent des matériaux de référence permettant la calibration des méthodes (autrement dit des analytes dont la teneur en éléments chimiques d’intérêt est connue du fabricant avec une très grande précision): le JRC et l’American Oil Chemists’ Society.
Pour les produits issus des NGT, lesquels seraient soumis à la législation sur les OGM à condition de l’adapter à leurs spécificités, il est essentiel de développer des matériaux de référence adéquats.
Le droit d’être informé
« Le but du règlement portant sur l’analyse des OGM est de pouvoir informer et de donner le choix aux consommateurs d’acheter, ou pas, des produits qui contiennent des OGM. Et également, d’identifier la présence d’OGM non autorisés, qui pourraient peut-être poser un risque de sécurité pour le consommateur ou l’environnement. »
En Europe, 37 laboratoires nationaux de référence réalisent l’analyse d’OGM. Chaque année, plus de 30.000 échantillons sont testés afin de savoir si les aliments destinés aux humains et aux animaux, les semences ou encore les plantes contiennent des OGM. « On analyse environ 2 fois plus d’aliments pour humains que pour animaux. »
Résultats ? « Pour une large majorité, les échantillons analysés destinés aux humains ne contiennent pas d’OGM. Par contre, de nombreux échantillons d’aliments pour animaux en contiennent. Cette information est clairement mentionnée sur l’étiquette. De façon occasionnelle, on retrouve toutefois des OGM non autorisés dans l’alimentation animale », précise Dre Vincent.
Défi analytique
Ce système de contrôle analytique, continue-t-il à être pertinent avec les produits issus des NGT ? Peut-on valider les NGT ? La scientifique avoue ne pas pouvoir répondre oui à 100 %.
En effet, le large panel de méthodes représentées par l’acronyme NTG peut donner des produits différents. L’hétérogénéité de ce groupe de méthodes donne du fil à retordre aux scientifiques du JRC pour l’établissement de critères de contrôle.
« Dans nos guides, nous avons anticipé ce futur et déjà ajouté des chapitres de façon à établir des caractéristiques de performances minimales pour les produits issus des NGT. Toutefois, il y a une pierre d’achoppement : en utilisant ces nouvelles techniques génomiques, parmi les mutations qui peuvent apparaître, certaines arriveraient aussi dans la nature. Actuellement, nous ne sommes pas capables de différencier une mutation introduite par une NGT ou issue d’un processus naturel.»
« Il est déjà possible de valider des méthodes pour la détection de plantes produites par certaines NGT, mais pour toutes. Démontrer la spécificité de ces méthodes est un défi analytique majeur. Un autre grand défi sera la gestion du très grand nombre de données analytiques récupérées », conclut la Dre Vincent.