Dès l’âge de quatre mois, les bébés reconnaissent les voix humaines

22 décembre 2023
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 4 min

« On sait depuis longtemps que chez l’être humain adulte, il existe une région du cerveau qui est sélective à la voix humaine. Cette région, située dans le cortex temporal, répond préférentiellement aux voix humaines plus qu’à n’importe quel autre type de son, comme des cris d’animaux, des bruits mécaniques, des sons issus de l’environnement. Les recherches menées dans mon laboratoire par la doctorante Roberta Calce viennent de montrer que chez des bébés âgés de quatre mois, cette région du cerveau sélective à la voix humaine est déjà active ». Le Pr Olivier Collignon, maître de recherche FNRS à l’Institut de recherche en sciences psychologiques de l’UCLouvain, détaille volontiers cette découverte.

Une sélectivité innée, fruit de l’évolution

« De précédents travaux avaient montré que la réponse sélective à la voix humaine chez le bébé n’apparaissait qu’à l’âge de sept mois. Cela pouvait suggérer qu’il fallait quand même une forme d’expérience assez longue pour que cette sélectivité se développe chez le jeune enfant. Ce que notre étude montre, c’est que ce n’est sans doute pas le cas », précise le directeur du Laboratoire de perception et de plasticité multimodales.

À ce stade, il semble que ce mécanisme propre au cerveau humain, mais également au cerveau des chiens et des singes, résulte d’un processus évolutif. Cette faculté de discriminer des sons humains serait donc innée, et non le fruit d’un apprentissage.

Collaboration avec le Baby Lab

Comment la chercheuse est-elle arrivée à démontrer, pour la première fois, cette sélectivité à la voix de façon concluante chez des bébés de quatre mois? Grâce à une collaboration avec l’équipe du Pr Arnaud Leleu de l’Université de Bourgogne, à Dijon.

« Au sein de mon laboratoire, nous étudions beaucoup la manière dont le cerveau traite l’information sensorielle, notamment les sons, mais aussi ceux issus de la vision. Nous sommes spécialisés dans le traitement cérébral de l’information sensorielle, mais pas nécessairement dans le développement », reprend le maître de recherche du FNRS. « Cela signifie que nous ne testons pas régulièrement les bébés, car cela demande toute une infrastructure spécialisée. D’où notre collaboration avec le Pr Leleu, qui dispose d’un Baby Lab. »

« Ce laboratoire est équipé pour ce genre de tests. Nous y avons soumis une vingtaine de bébés âgés de 4 mois à une batterie de tests spécifiques au cours desquels nous leur avons fait entendre divers sons. Les électroencéphalogrammes nous livrant ensuite les données à étudier. Il est apparu qu’une majorité des bébés présentait cette sélectivité à la voix humaine. »

Nouvel outil de recherche et de dépistage

Cette technique de recherche élaborée par l’équipe du Pr Collignon avec celle du Dr Leleu, constitue un nouvel outil pour de futures études du traitement de la voix chez les nourrissons.

Ces premiers résultats laissent aussi penser que cette sélectivité neuronale pourrait favoriser l’intérêt pour ces sons cruciaux dès le début de la vie. Et, dès lors, potentiellement participer au développement social de l’enfant.

« Mais cela pourrait aussi trouver des applications dans le dépistage précoce de certains troubles », estime le chercheur de l’UCLouvain. « Nous pensons désormais tester cette technique sur des individus autistes, lesquels présentent, comme on le sait, un déficit du traitement de l’information sociale. Il a déjà été montré qu’à l’âge adulte, ce trouble pouvait se marquer par des différences dans la façon dont ces personnes traitent les voix humaines. Si cette différence existe déjà avant que l’on diagnostique l’enfant comme autiste, et qu’elle est identifiable dès les premiers mois de la vie, cela peut également être précieux. »

La suite des travaux de Roberta Calce vont porter sur la transformation d’une information physique en une information « sémantique », comme disent les chercheurs. C’est-à-dire comment le cerveau passe d’une information auditive, acoustique, comme des vibrations de l’air, à la représentation d’un signal dans le cerveau. Lequel devient beaucoup plus complexe, comme reconnaître que cette vibration est une voix humaine et non un son provenant d’une voiture ou d’un oiseau. « Ce qui n’est autre que l’aspect novateur de la thèse de Roberta Calce », conclut le Pr Collignon.

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