Il se passe d’étranges phénomènes, ces derniers jours, dans le sous-sol belge. Le 18 janvier dernier, un tremblement de terre de magnitude 1,5 sur l’échelle de Richter a été détecté par le réseau de surveillance sismologique de l’Observatoire royal de Belgique dans un recoin du pays qui n’avait jamais connu de séisme de cette importance auparavant. Quelques jours plus tôt, dans la même zone, c’était un séisme de 1,2 qui surprenait les sismologues. Avant cela, en 2016, des secousses de 0,9 avaient déjà été enregistrées…
« Cela se produit dans la région de Mol, en province d’Anvers, dans une région particulièrement stable du point de vue sismique », souligne le Dr Thierry Camelbeeck, sismologue à l’Observatoire royal de Belgique. En soi, l’ampleur du phénomène n’a rien d’inquiétant. Il s’agit de petits tremblements de terre. Par contre, d’un point de vue sismique, ce phénomène n’est pas innocent. Il pose la question de l’impact des activités humaines sur ce type de risque ».
Les sismologues de l’Observatoire royal de Belgique suspectent les activités d’exploitation de la géothermie qui viennent de démarrer dans la région de jouer un rôle dans ces événements. En Flandre, ces derniers jours, on est même catégorique. Et on prône la prudence. D’autant que les ressources locales en eau ne seraient pas suffisantes.
A Mol en effet, le VITO (l’Institut flamand pour la recherche technologique) vient de se lancer dans l’exploitation de la géothermie. Un projet préparé depuis plusieurs années qui vient d’entrer ces derniers jours dans une phase de production opérationnelle.
Dans un puits de 4 kilomètres de profondeur (on parle ici de géothermie profonde), sur le site « Balmatt », le VITO injecte de l’eau froide sous pression. Cette même eau est réchauffée en profondeur et est ensuite récupérée via un second puits situé à deux kilomètres de distance. L’eau chaude devrait servir à alimenter en chaleur des habitations et des bâtiments industriels, voire, être en partie transformée en électricité.
Détection des séismes au SCK-CEN voisin
Est-ce cette circulation forcée de l’eau qui engendre des tremblements de terre dans la région ? Et dans quelles mesures ? Les spécialistes de l’Observatoire s’interrogent. « Des études complémentaires et indépendantes s’imposent », disent-ils.
Certes, la région n’est pas vraiment densément peuplée. Par contre, juste à côté du VITO, on retrouve les installations du Centre d’étude de l’énergie nucléaire SCK-CEN. Un établissement fédéral qui mène notamment des recherches sur les réacteurs nucléaires et le stockage souterrain de déchets radioactifs. C’est d’ailleurs dans une des galeries souterraines (200 mètres de profondeur) du SCK-CEN qu’un des sismomètres de l’Observatoire royal de Belgique a enregistré les tremblements de terre inhabituels dont il est ici question. En réalité, les quatre sismomètres de l’Observatoire déployés dans la région ont capté ces signaux. « Lesquels ont également été détectés par nos stations de Dourbes (Couvin), de Membach (province de Liège) et jusqu’au Grand Duché de Luxembourg, à la station de Kalborn, à plus de 100 km de Mol », précise le chef du service de séismologie de l’ORB.
Relecture mondiale des tremblements de terre du passé
« De plus en plus, la communauté scientifique estime que les activités humaines ont un impact sur le déclenchement de tremblements de terre », indique le Dr Camelbeeck, qui a récemment cosigné une publication scientifique sur la question.
Aux États-Unis également, on réexamine l’impact que les exploitations pétrolières en Oklahoma ou en Californie ont pu avoir sur l’intensité des tremblements de terre qui ont affecté ces régions.
En Inde, il est quasi certain que c’est la mise en eau d’un barrage de la région de Killari qui a modifié les tensions sur la croûte terrestre. Ce qui a mené au séisme de 1993. Un événement qui a fait quelque 10.000 victimes dans la région.
Les communes de Mol et Dessel, en Campine anversoise, ne sont pas Los Angeles, ni Killari. Cependant, les opérations de géothermie qui s’y déroulent pourraient aussi être susceptibles de déstructurer les tensions dans le sol, ici à 4 kilomètres de profondeur. De quoi, par exemple, favoriser des mouvements dans les failles locales.
Lubrification des couches géologiques
« C’est comme si je frotte la main sur une table », explique le Dr Michel Van Camp, chef du service de sismologie/gravimétrie, à l’ORB. « Si la table est sèche, j’ai besoin de plus d’énergie pour faire glisser la main sur sa surface. C’est l’analogie avec un mouvement de faille « naturel », sans intervention humaine. Par contre, si j’ajoute de l’eau sur le plateau de la table, elle agit comme un lubrifiant et facilite le mouvement ». Dans le cas des mouvements de terrain, c’est exactement la même chose ».
En Flandre, le professeur de géologie Manuel Sintubin, de la KULeuven, suit de près les événements sismiques enregistrés à Mol/Dessel. Il va même plus loin dans cette analyse que les chercheurs de l’Observatoire. Il estime que ces séismes font passer l’alerte au niveau « orange » en ce qui concerne ce projet de géothermie profonde. Dans la presse flamande, les bourgmestres concernés appellent à la prudence en l’absence de contrôle indépendant en matière de risque sismologique.
+1 “Het is belangrijk dat hierover open wordt gecommuniceerd en dat er een onafhankelijk orgaan komt, zoals in Nederland al het geval is (@sodmnl). De monitoring van @VITObelgium is goed. Maar ze is tegelijk exploitant en controleur. Die situatie is niet gezond.” #balmatt https://t.co/1TT4ia9lAw
— Manuel Sintubin ⚒️ (@ManuelSintubin) 22 janvier 2019